Ce dossier aborde la question des interrelations transformatrices entre la création sonore et la performativité sous divers angles à travers les voix de différent·e·s artistes-chercheur·e·s nationaux et internationaux qui y répondent par des textes, des pièces sonores, des créations vidéographiques ou toutes autres formes pertinentes. Cette problématique générale est toutefois traitée à travers trois axes précis :
1. Agentivité
2. Improvisation
3. Oralité
Le premier axe concernant la notion d’agentivité vise à interroger certain·es artistes invité·es sur les relations transformatrices entre leurs gestes de création et les matériaux ou les dispositifs impliqués dans leur travail. Il s’agit d’examiner les tactiques employées, les objets utilisés et les interfaces élaborées pour établir des liens de réciprocité entre les actions performatives et la production sonore qui favorisent des boucles de rétroaction entre toutes les entités en jeu. J’y présente divers artéfacts générés à travers les trois premières phases du processus de recherche-création d’Agence Augmentée, un projet financé dans le cadre du programme « soutien à la recherche-création pour la relève professorale » des Fonds de Recherche du Québec - Société et culture (FRQSC), dans lequel furent impliqué·es divers·es artistes-chercheur·es comme Isabelle Lapierre, Mathieu P. Lapierre, Katia Martineau et Vincent Thériault. Pour sa part, Julie Faubert nous propose une vidéo ainsi qu’un texte en lien avec son projet Le Festin, alors que Christof Migone nous offre Éternuité (ForeverSneeze) et Amateur Professional / Professional Amateur, deux projets vidéographiques et sonores.
Le second axe porte sur la performativité inhérente à la saisie en actes des contingences émergentes dans les pratiques sonores où l’improvisation est une méthode de création privilégiée. Il s’agit d’observer si l’acte improvisé a un potentiel heuristique en performance sonore et permet effectivement à l’artiste de faire des découvertes qui excèdent ses intentions initiales. D’autres documents issus du projet Agence Augmentée où l’improvisation comme méthode fut particulièrement explorée sont présentés, en plus du journal de bord de création de la pièce The Unexpected Cyclist d’Émilie Payeur, créée pour l’ensemble de musique comprovisée1 SuperMusique, et de l’œuvre sonore Radical Sympathy de Brandon Labelle, Luis Guerra, Vicente Colomar, Fátima Cué, María Escobar, Antonio Gómez, Annie Pui Ling Lok, Catalina Mahecha et África Clúa Nieto.
Le troisième axe explore quant à lui les relations entre la création sonore et la performativité dans des pratiques où l’oralité est centrale. La voix constitue en effet un point d’articulation fertile entre le corps et la production sonore, mais que performe-t-elle? Manifeste-t-elle la disparition de son origine organique lorsqu’elle s’échappe du corps pour devenir ondes sonores? Ou permet-elle plutôt une survie de celle-ci dans de nouveaux corps sonores? Je tente de répondre à ces questions à travers une œuvre sonore réalisée également dans le cadre du projet Agence Augmentée, alors que Stvn Girard répond à celles-ci dans un texte intitulé Devenir-vampire : le pari de la nécromancie insurrectionnelle comme réécriture de l’histoire de l’art performance. Deux autres œuvres sonores où l’oralité est centrale, NOYAU JAUNE D’OR de Maude Pilon & Simon Brown et WhiteOut de L’eau du bain (Anne-Marie Ouellet/Thomas Sinou), exacerbent le fait que personne ne sait « ce que peut la voix 2».
Finalement, des œuvres sonores synthétisant les espaces négatifs de nombreuses performances sonores du trio mine mine mine formé de Magali Babin, André Éric Létourneau et moi-même, regroupées sous le titre Face aux déchets3, sont dispersées comme des petits tas d’ordures dans tout le dossier. « On that June morning, thing-power rose from a pile of trash. Not Flower Power, or Black Power, or Girl Power, but Thing-Power: the curious ability of inanimate things to animate, to act, to produce effects dramatic and subtle [...] what if the swarming activity inside my head was itself an insistance of the materiality that also constituted the trash? » (Bennett, 2010 : 6-10).
Bibliographie
BENNETT, Jane (2010), Vibrant Matter : A Political Ecology of Things, Durham, Duke University Press.
KIM, Jin-Ah (2018), « Réflexions sur la comprovisation de Sandeep Bhagwati : théorie et pratique », Circuit, Volume 28, numéro 1, p. 23–33, https://www.erudit.org/fr/revues/circuit/2018-v28-n1-circuit03560/1044373ar/
SPINOZA, Baruch (1965), Éthique, Paris, Flammarion (original publié en 1677).
- 1. La comprovisation est un néologisme utilisé par Sandeep Bhagwati depuis 2004 qui est issu d’une hybridation terminologique entre les mots « composition » et « improvisation ».
- 2. Je renvoie ici indirectement à l’énoncé de Spinoza : « Nul ne sait ce que peut le corps » (Éthique III : 2, S).
- 3. Ces pièces sonores ont été enregistrées dans les studios du centre d’artistes en art audio et électronique Avatar à Québec à l’automne 2016.