Présentation générale
Le collectif éphémère JacckEye (Angelina Battais, Camille Tolila Mercier, Joana Luz), réuni à l’occasion d’une résidence de sept mois à la Fisheye Gallery (Arles), a présenté en mars 2021 une performance transdisciplinaire (comportant des œuvres littéraires, photographiques, vidéographiques, sculpturales, musicales, dramatiques et dansées) intitulée Super Impressionnisme (conte naïf).
L’une des tentatives fortes de cette performance a été d’inscrire des pièces d’art à l’intérieur d’une trame dramatique. Nous avons pensé un drame où chaque élément de scénographie, de texte ou de son est une œuvre d’art à part entière. Ainsi, chaque objet présent dans l’espace de la performance – chaque photographie, chaque performer, chaque son – a une valeur artistique autonome et possède une fonction dans l’économie du drame. Des œuvres (photographies, sculptures, performances) ont été créées ou choisies en accord avec le drame et servent son expression. Réciproquement, le drame apporte une cohérence aux œuvres exposées dans la galerie, chacune étant impliquée dans la trame dramatique. Nous avons élaboré cette performance à la croisée de l’exposition d’art contemporain et du drame théâtral, à la manière d’une proposition muséologique : comment une forme dramatique peut-elle donner un sens à la combinaison des œuvres exposées dans une galerie d’art?
Par exemple, le premier acte de la performance montre un Personnage de bois (héros de cette épopée de galerie) engoncé dans une sculpture de bois ayant la forme d’un vêtement (voir fig. 3). Cette sculpture, qui sert de costume et d’habitation au personnage, est aussi une pièce d’architecture ou de mode (selon que la sculpture de bois évoque une maison ou un vêtement) conçue par l’architecte Christian Bigirimana et moi-même.
La trame dramatique, qui enveloppe l’ensemble des diverses pièces d’art, raconte l’histoire de trois émancipations successives : celle du Personnage de bois; celle de Percée; celle de l’Intendante du temps. Chaque personnage est découvert dans une situation de claustration engourdie et va s’en défaire. Cet accès à la mobilité pour les personnages se veut être un jeu de passage entre arts plastiques et arts vivants.
Quatre actes / quatre espaces
La performance est composée de quatre actes. À chaque ouverture d’un acte, un nouvel espace de la galerie est découvert. La scénographie s’est appuyée sur l’architecture rectangulaire de la galerie (longiligne avec une profondeur de 50 m) pour organiser la succession des actes en quatre espaces scéniques apparaissant progressivement, les uns à la suite des autres. Ainsi, le public s’enfonce dans les tréfonds de la galerie en même temps que le drame déploie sa narration vers son terme (l’aboutissement spatial concorde avec l’aboutissement narratif). Le premier acte débute dans la vitrine de la galerie, à la lisière de la rue; le dernier a lieu dans les profondeurs reculées de la galerie (une ultime porte mystérieuse, située au fin fond de la galerie, propose un lointain vis-à-vis de la porte d’entrée de la vitrine). La performance est déambulatoire, les personnages conduisent le public d’acte en acte. La transition entre chaque acte est, d’une part, guidée par les perfomers; d’autre part, travaillée plastiquement (chute d’un rideau de plâtre; traversée d’un mur de projection; basculement lumineux et sonore).
Poèmes / performances
Qu’en est-il de la place du poème dans cette performance? Premièrement, chacun des actes de Super Impressionnisme comporte en son cœur un texte poétique, plus ou moins audible. Le premier acte est l’interprétation jouée du poème « Ébène » (2021), que j’ai écrit pour la performance; le second est l’interprétation chantée d’un extrait de Philoctète (2008) de Cédric Demangeot; le troisième est la danse accompagnée du poème « Diving Into the Wreck » (1973) d’Adrienne Rich; le quatrième est une conférence poétique d’Arsène Caens intitulée « Le banquet des transparent-e-s » (2021), que nous lui avons commandée pour la performance. Tout en étant lui-même poétique, le texte de Caens comporte, en un jeu de citations, plusieurs voix poétiques. Par exemple, son texte donne à entendre le poème « Jean des Tilles » (1980 [1842]) d’Aloysius Bertrand.
Deuxièmement, outre la trame dramatique, une trame conceptuelle relie les différents actes. Du premier au dernier acte, il y a une dissolution progressive du texte et de la forme dramatique. La performance évolue vers une sortie du cadre théâtral – du diégétique au métadiégétique, avec une « transgression délibérée du seuil d’enchâssement » (Genette, 2004 : 9). Le premier acte débute de plain-pied dans la fiction. Il se présente muni de toutes les composantes d’une forme théâtrale identifiable : un personnage, un décor, un costume, un texte versifié et un quatrième mur. L’interprète du Personnage de bois (Olfa Bouzoumita) assume tout l’assortiment dramatique au premier degré et définit un « cadre théâtral pur » (Goffman, 1991 [1974]). Le quatrième acte est une conférence ayant pour objet un breuvage à la menthe offert en dégustation au public et aux performers. Par l’intermédiaire du breuvage – dont la transparence devient une métaphore des êtres de fiction à l’existence « liquide » –, la conférence joue subtilement avec la distinction entre monde de la fiction et monde réel.
La déformation du cadre théâtral se concrétise d’abord par une détérioration du texte. Le deuxième acte comporte un chant dont la partition musicale a pour matériau de départ un fragment du poème Philoctète de Demangeot. Le texte est très partiellement audible en raison des transformations que nous lui avons appliquées. Toutefois, le texte original était affiché en grand sur l’un des murs de scène (à disposition du public) et la qualité de complainte (contenue dans Philoctète) était préservée et reprise dans le chant. Je rappelle le récit mythologique de Philoctète, repris dans le poème de Demangeot : aux suites de la guerre de Troie, Philoctète, blessé à la jambe, est abandonné sur une île, car la puanteur de sa plaie importune le bataillon grec. Seul sur l’île, enragé, l’infortuné déplore son exil et souffre sa blessure. Nous avons choisi de présenter un personnage, Percée, analogue féminin de Philoctète, qui parvient difficilement (à mots coupés) à formuler son malheur. Par exemple, la partition chantée soustrait certains phonèmes au texte original et en accentue d’autres ([r] grasseyé ou [r] non voisé) – le texte original et la partition sont présentés plus bas.
En ce qui concerne le troisième acte, le texte « Diving Into the Wreck » de Rich est complètement dilaté dans un son de basse constant (drone), provenant du sous-sol de la galerie. Cet acte consiste en une danse sur le thème de l’attente. Au début, le public découvre la performeuse, quasi inerte, qui interprète l’attente quotidienne (sous le personnage de l’Intendante du temps). Elle propose une danse au style réaliste, composée d’une succession de poses prélassées, expectatives. Progressivement, la basse souterraine augmente et envahit la scène, ce qui provoque une interruption de l’attente dansée et déclenche une danse travaillant avec l’effondrement.
Une transition lumineuse franche ouvre le quatrième et dernier acte de la performance, « Le banquet des transparent-e-s ». Toutes les lumières de la galerie sont rallumées, le public découvre une salle qui conserve l’esthétique originale de la galerie : éclairage blanc cru, présentoir de prospectus, deux télévisions disposées dans un coin projetant des vidéos d’art. Le dernier acte débute par une adresse directe du conférencier au public : « eh ben bienvenue / bienvenu au banquet des transparen[t-e-s] ». Ainsi, le franchissement du quatrième mur et le changement net d’ambiance lumineuse entament la rupture du cadre théâtral et ouvrent à un jeu réflexif sur les limites de celui-ci.
Sur l’ensemble de la performance, le texte poétique apparaît à la fois comme pièce centrale de chacun des actes et comme instrument concourant à la trame conceptuelle de la performance (l’amenuisement du texte jusqu’à sa disparition participe à l’évolution générale de la performance vers une sortie de la fiction).
Documents – Acte I. Ébène
Performeuse : Olfa Bouzoumita
Texte, mise en scène : Camille Tolila Mercier
Sculpture de bois : Christian Bigirimana et Camille Tolila Mercier
La performance débute à la tombée de la nuit. Le public est encore à l’extérieur de la galerie; depuis la rue, il découvre, en vitrine, une petite pièce aux murs blancs. En fond de scène, un pan de rideaux ondulants et rigides (ils ont été imbibés de colle et couverts de plâtre), eux-mêmes blancs. Au centre de cet espace blanchâtre et poudreux, une robe de bois massive encastre un individu. Le Personnage de bois (interprété par Bouzoumita), endormi dans l’opulent vêtement de bois, se réveille et observe les alentours. Plusieurs minutes s’écoulent, l’obscurité nocturne recouvre la sculpture de bois et son habitante coincée. Un projecteur, à l’éclairage chaud, illumine le personnage qui entame son monologue.
Les documents ci-dessous présentent le texte poétique « Ébène », prononcé par le Personnage de bois, ainsi que quelques photographies de la sculpture de bois et du costume du Personnage de bois.
Documents – Acte II. Percée
Texte : Cédric Demangeot
Photographies et vidéo : Angelina Battais
Performance : Olfa Bouzoumita et Laura Kimpe
Design sonore : Alexandre Galmard
Scénographie et mise en scène : Angelina Battais et Camille Tolila Mercier
À la fin du premier acte, le Personnage de bois sort de son vêtement de bois et fait tomber le rideau de fond de scène. Ce geste ouvre la scène du deuxième acte. Il s’engouffre dans le nouvel espace qu’il a découvert pour lui et pour le public. Arrivé dans une forêt, où demeure dans un isolement forcé le personnage de Percée (alter ego féminin de Philoctète), le Personnage de bois se réfugie dans une cabane rudimentaire (conception de Bigirimana). Il assiste à la complainte de Percée, avant que tous deux quittent cette forêt obscure.
Ce deuxième acte est composé d’une performance sonore à partir du texte Philoctète de Cédric Demangeot (chant : Laura Kimpe; design sonore : Alexandre Galmard) et d’une installation visuelle (Angelina Battais). La scénographie de cet acte est faite de photographies et de vidéos de forêts (toutes les œuvres visuelles sont produites par Battais). Parmi ces œuvres, une projection vidéo gigantesque montre les quatre performers des quatre actes (Personnage de bois; Percée; l’Intendante du temps; Maître Fulgur) dans un studio photographique sur les murs duquel est projetée une forêt brumeuse (dans un jeu de mise en abyme confondant – voir fig. 9).
L’extrait du texte de Demangeot était placardé sur tout un pan de mur (voir fig. 11). Devant le texte, pendaient du plafond quatre longs bandeaux photographiques (d’une unique photographie divisée en quatre bandes – voir fig. 12). Nous cherchions à schématiser les troncs d’arbres d’une forêt dans les interstices desquels le texte transparaîtrait. Les documents qui suivent ne proposent pas une reproduction à l’identique de cette scénographie. Toutefois, vous trouverez une imitation du texte, dans la forme de son exposition (typographie inspirée du mouvement politique des colleuses : une lettre par feuille A4), ainsi qu’une reproduction de la photographie qui venait en avant du texte.
Ci-bas, l’extrait de Philoctète de Demangeot, suivi d’une tentative de transcription de son interprétation par Kimpe, chanteuse lyrique de profession (partition et légende, fig. 13).
Ici, parfaitement
seul, j’ai
faim, forcément je
rôde, je
traîne ma
jambe gâchée, tré-
buche sur des
racines, des
pierres.Ici, rien
à faire que
haïr. je
n’en finis pas…
d’occuper ma tête à ce
ressassement sans fin de ma haine des
Grecs. Une haine
aussi parfaite qu’ils ont le corps-
Ah, ce beau,
ce trop beau
corps qu’ils ont; qu’ils
tiennent (on
jurerait) des
dieux; qu’ils
huilent
après la guerre,
avant l’amour. je
hais ce corps-là à
m’y perdre. Et
les Grecs
me haïssent en retour
pour mon corps putride et mes cris d’
enfant qu’on saigne (Demangeot, 2008 : 15).
Le Personnage de bois, ouvreur de nouveaux espaces, déchire une porte en papier sur laquelle est projetée l’incandescence d’un feu (voir fig. 9 et 14). Cette brèche permet au Personnage de bois et à Percée de quitter la forêt, et au public de rejoindre la scène du troisième acte.
Percée et le Personnage de bois rencontrent un troisième personnage féminin, l’Intendante du temps, ligotée dans un enchaînement de poses patientes. Elle joue avec l’expression de l’attente. Cette attente est interrompue par l’irruption d’un tremblement souterrain (le poème de Rich fondu dans un son de basse épais et grumeleux), dont l’intensité progressive est incorporée par la danseuse en un jeu de corps sur l’éboulement (corps traversé de granulés mobiles) et l’effondrement. La performeuse Anna Carraud s’est inspirée d’un effondrement de terrain auquel elle a assisté et d’une technique de danse (le corps sismographe) pour signifier l’effondrement.
La scénographie est composée de deux grandes photographies montrant la vue d’une ville depuis une fenêtre (Battais) et d’un large panneau de lumières aux teintes rouges (sculpture lumineuse confectionnée par Battais et moi-même). Nous avons cherché à évoquer un intérieur casanier et calfeutré. Des plaques de glaise étaient disposées au sol et sur les murs. La performeuse y imprimait certains de ses gestes.
Ci-bas, le poème de Rich et quelques photographies de la performance dansée (malheureusement, nous avons peu de documents représentatifs de la danse) :
First having read the book of myths,
and loaded the camera,
and checked the edge of the knife-blade,
I put on
the body-armor of black rubber
the absurd flippers
the grave and awkward mask.
I am having to do this
not like Cousteau with his
assiduous team
aboard the sun-flooded schooner
but here alone.
There is a ladder.
The ladder is always there
hanging innocently
close to the side of the schooner.
We know what it is for,
we who have used it.
Otherwise
it is a piece of maritime floss
some sundry equipment.
I go down.
Rung after rung and still
the oxygen immerses me
the blue light
the clear atoms
of our human air.
I go down.
My flippers cripple me,
I crawl like an insect down the ladder
and there is no one
to tell me when the ocean
will begin.
First the air is blue and then
it is bluer and then green and then
black I am blacking out and yet
my mask is powerful
it pumps my blood with power
the sea is another story
the sea is not a question of power
I have to learn alone
to turn my body without force
in the deep element.
And now: it is easy to forget
what I came for
among so many who have always
lived here
swaying their crenellated fans
between the reefs
and besides
you breathe differently down here.
I came to explore the wreck.
The words are purposes.
The words are maps.
I came to see the damage that was done
and the treasures that prevail.
I stroke the beam of my lamp
slowly along the flank
of something more permanent
than fish or weed
the thing I came for:
the wreck and not the story of the wreck
the thing itself and not the myth
the drowned face always staring
toward the sun
the evidence of damage
worn by salt and sway into this threadbare beauty
the ribs of the disaster
curving their assertion
among the tentative haunters.
This is the place.
And I am here, the mermaid whose dark hair
streams black, the merman in his armored body.
We circle silently
about the wreck
we dive into the hold.
I am she: I am he
whose drowned face sleeps with open eyes
whose breasts still bear the stress
whose silver, copper, vermeil cargo lies
obscurely inside barrels
half-wedged and left to rot
we are the half-destroyed instruments
that once held to a course
the water-eaten log
the fouled compass
We are, I am, you are
by cowardice or courage
the one who find our way
back to this scene
carrying a knife, a camera
a book of myths
in which
our names do not appear (Rich, 1973 : 62).
Documents – Acte IV. Le banquet des transparent⋅es
Performeur⋅euses : Anna Carraud et Arsène Caens
Texte : Arsène Caens
Scénographie : Angelina Battais, Camille Tolila Mercier et Arsène Caens
Vidéo : Joana Luz
Photographies : Camille Tolila Mercier
L’Intendante du temps, encore transie par son effondrement, est soudainement sortie de ses vapeurs par l’éclairage éblouissant de la salle adjacente à la sienne (la salle d’attente du troisième acte est encore plongée dans une obscurité teintée de rouge, tandis qu’éclatent les néons blancs de la scène du quatrième acte). Les trois personnages des actes précédents (le Personnage de bois; Percée; l’Intendante du temps), encore imbibés de leur drame, deviennent convives du « banquet des transparent-e-s », à l’égal du public.
Maître Fulgur, l’un des nombreux avatars de Caens, intervient au quatrième acte de Super Impressionnisme en tant qu’envoyé et délégué de « La guilde des transparent-e-s ». Voici une brève et non exhaustive profession de foi de cette dite « guilde » :
Maître Fulgur, un conférencier / poète, spécialiste des « transparent-e-s » (jeu de mots sur la transparence des liquides et sur celle des êtres de fiction), s’adresse aux trois personnages et au public. Il leur présente sa dernière concoction : une boisson à la menthe cueillie sur les rivages de la Seine (l’homophonie avec « scène » a son importance). Cet officiant du « banquet des transparent-e-s » invite les personnages et le public à se désaltérer (les personnages ayant des boissons fumantes, particulières à leur complexion). Il est auteur du texte qu’il prononce et concepteur du breuvage qu’il sert au public, invité à le déguster tout en découvrant sa composition et son histoire. Ce professeur / artiste de boisson, par son texte, transgresse les niveaux diégétiques : il est tour à tour un narrateur hétérodiégétique (il est extérieur à la diégèse, au monde de la fiction) ou un narrateur homodiégétique (il intègre la diégèse, le monde de la fiction).
Par exemple, lorsqu’il proclame : « nous, les œuvres, nous, les choses, nous, ces êtres cernés de formes humaines alentour », il réunit sous le dénominateur « nous » les objets exposés dans la galerie, les performers des actes précédents et lui-même, qu’il oppose aux « formes humaines », c’est-à-dire les membres du public. Ainsi, il joue sur une distinction ontologique entre les êtres de fiction (les œuvres et les personnages du drame) et les êtres réels (le public).
Ci-bas, la première page du texte d’Arsène Caens1, accompagnée d’un descriptif de son projet et d’une partition gestuelle.
Ci-bas, un extrait sonore enregistré lors d’une répétition du quatrième acte. On y entend la fin du texte de Caens et le poème « Jean des Tilles » de Bertrand.
En fin de compte, Super Impressionnisme (conte naïf) propose quatre cas de performance du poème, ou quatre configurations du poème pour la scène : un premier poème (Acte I), à la manière d’un monologue théâtral, est joué par un personnage costumé et environné de son décor. Une seconde mise en scène du poème (Acte II) est une combinaison entre performance chantée et exposition du texte écrit. D’une part, le poème est déstructuré à l’intérieur d’un chant, mi-ronronnant, mi-gémissant; d’autre part, le poème est placardé au mur (afin de compenser l’inaudible du texte dans le chant), reprenant certains codes de l’action politique contemporaine. Une troisième configuration (Acte III) dilue le poème dans une composition de drones (sons constants, homogènes, pesants). Cette mise en scène renonce au texte du poème, qui demeure latent et tente d’être exprimé, traduit par l’ambiance visuelle et sonore ainsi que par la danse. Super Impressionnisme se clôt par la conférence d’un personnage professeur de poésie (Maître Fulgur), et par la lecture, feuillet en main, du poème « Jean des Tilles ». Remarquons que, dans ce dernier acte, plusieurs livres de poésie sont exposés; certains sont mis en vente, comme Sonnés : poèmes confinés (2021) de Samuel Deshayes.
Tandis que les trois poèmes précédents se confondent de diverses manières avec leur performance, pour ce final, la matérialité de la page sur laquelle est inscrit le poème marque une séparation entre la performance et le poème (le texte est tenu en main, affiché en présentoir, vendu). Elle restitue une certaine autonomie au texte poétique en même temps que la performance montre les contours de son cadre théâtral.
Couverture : Sans titre. Photographie de Joana Luz.
Bibliographie
BERTRAND, Aloysius (1980 [1842]), « Jean des Tilles », dans Gaspard de la nuit : fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, Paris, Gallimard, « Poésie », p. 205-206.
DEMANGEOT, Cédric (2008), Philoctète, Barre-des-Cévennes, Barre parallèle.
DESHAYES, Samuel (2021), Sonnés : poèmes confinés, Corcoué-sur-Logne, Lanskine, « Poésie ».
GENETTE, Gérard (2004), Métalepse : de la figure à la fiction, Paris, Seuil, « Poétique ».
GOFFMAN, Erving (1991 [1974]), « Le cadre théâtral », dans Les cadres de l’expérience, trad. Isaac Joseph, Michel Dartevelle et Pascale Joseph, Paris, Minuit, « Le sens commun », p. 132-159.
RICH, Adrienne (1973), « Diving Into the Wreck », dans Diving Into the Wreck: Poems 1971-1972, New York, W. W. Norton & Company, p. 62.
- 1. L’auteur est aussi doctorant en sociolinguistique à l’École des hautes études en sciences sociales et utilise le protocole de l’analyse de conversation pour formaliser une partition multimodale.