La parution de ce numéro est portée par la fébrilité des commencements. Cette publication marque en effet l’inauguration de notre site web, qui signe le passage de la revue au format numérique, et, dans la foulée de cette transition, son changement de nom. Ces transformations ont été amorcées il y a plus de deux ans, alors que germait l’idée, au sein de notre comité de rédaction, de créer une plateforme électronique, L’Extension – Recherche & création, offrant un espace de diffusion et de partage dédié à la recherche-création, à ses différentes étapes, à ses chantiers et à ses matériaux sensibles. Piloté par Marie-Christine Lesage, ce projet s’est précisé au fil des mois, au gré de discussions passionnées et de nombreuses rencontres exploratoires avec l’équipe du Laboratoire NT2, soit le Laboratoire de recherche sur les œuvres hypermédiatiques (Université du Québec à Montréal), lequel offre, en partenariat avec Érudit, une structure d’accompagnement pour aider les revues savantes à développer des outils numériques.
Transition, mouvance
Dynamisée par ce travail autour de L’Extension, notre réflexion s’est ensuite élargie à la revue. Après une série de consultations avec notre comité de rédaction et avec les membres de la Société québécoise d’études théâtrales, nous avons choisi de faire de notre périodique une publication exclusivement numérique pour trois types de raisons, soit celles liées aux coûts de production, celles touchant au format et à ses possibilités, et, le plus important, celles liées à la diffusion et au rayonnement des connaissances. Nous laisserons de côté ici les avantages pécuniaires de cette transition. Il nous importe davantage de mettre en lumière ce que ce nouveau support engage au niveau formel : la plateforme numérique favorise en effet, à même son support et le format possible des contributions, la rencontre de composantes textuelles et de matériaux iconographiques, audiovisuels ou hypermédiatiques propres aux arts vivants. Elle constitue ce faisant un espace vivifiant pour le frottement et la cohabitation de contenus autrement inaccessibles. Cette considération n’est donc pas seulement esthétique, mais touche aussi à l’intelligibilité des contributions comme à la nécessité de donner place à de nouvelles explorations en arts vivants. Quant à la diffusion des connaissances, il va sans dire qu’un passage au format numérique ne peut qu’aider la revue à élargir son lectorat et à atteindre les pleines potentialités de son rayonnement. Il nous apparaît également très important de participer à la mouvance de décloisonnement et de partage des savoirs qu’on observe actuellement dans le(s) milieu(x) de la recherche. Notre transition vers le libre accès des contenus nous permettra de nous inscrire dans ce courant. Il y a d’ailleurs longtemps que la direction de la revue valorise, d’un point de vue éthique, ce libre accès, et qu’elle vise son atteinte. Il nous semble effectivement essentiel de faire de notre publication un espace dynamique, invitant et accessible; un carrefour de réflexions pouvant être partagées avec tous et toutes!
Un nouveau nom
Ces changements importants nous ont aussi incité·es à réfléchir à une modification de nom pour la revue. Rappelons brièvement ici l’historique de ce nom. L’Annuaire théâtral, au moment de sa création en 1985, avait repris le nom d’une publication de 1908. Cet ouvrage, portant la signature Georges-H. Robert, éditeur, se présentait alors comme un « fourre-tout » comprenant une centaine de feuillets dans lesquels « voisinaient pêle-mêle souvenirs, anecdotes, opinions, témoignages, citations, compte rendus, photographies, caricatures, etc., qui n’avaient entre eux de commun que leur thème : le théâtre1 ». La Société d’histoire du théâtre du Québec (SHTQ), devenue depuis la Société québécoise d’études théâtrales (SQET), avait repris ce nom pour rendre hommage à cette publication unique – le numéro annoncé de 1909 ne parut jamais – mais là s’arrêtait la ressemblance entre les deux propositions. La mouture de 1985 de L’Annuaire théâtral devait rencontrer des objectifs précis, c’est-à-dire « offrir au public un ouvrage périodique sur l’histoire du théâtre au Québec et au Canada français, et en même temps fournir un débouché aux recherches effectuées dans la même matière2 ». Depuis, bien que la composante historique demeure présente au sein de L’Annuaire théâtral, les objets de recherche et les perspectives théoriques de la revue se sont grandement diversifiés. En effet, depuis plusieurs années, cette dernière s’attache à couvrir tout le champ des arts vivants – théâtre, danse, cirque, performance, pratiques interdisciplinaires – à travers une multiplicité de cadres théoriques. La revue fait également la part belle à la recherche-création. Nous avons donc souhaité la doter d’un nouveau nom qui reflète davantage son identité actuelle.
Pour trouver ce nom, un appel de propositions a été lancé aux membres de la SQET à l’été 2019 et réitéré à l’automne suivant. Les suggestions reçues ont été intégrées à une foisonnante banque de noms sur une plateforme de réflexion collaborative à laquelle ont contribué les membres du comité de rédaction de la revue. Des paysages lexicaux se sont peu à peu formés, assortis de quelques critères se précisant au fil de nos échanges. Nous cherchions un mot ou une expression aux vastes possibilités évocatrices.
Ainsi, un nom a émergé : Percées.
Celui-ci nous semble particulièrement représentatif des nouvelles orientations de la revue puisque chacune de ses acceptions trouve écho dans la forme, le contenu ou les visées de la publication :
- Ouverture qui livre un passage. Ouvrir une percée dans la forêt. Trouée.
- Terme de peinture. Se dit des échappées de lumière que l’on ménage dans un paysage.
- Développement spectaculaire et réussi dans les domaines de la recherche.
Ce nom, qui s’arrime parfaitement avec l’une des sections de L’Extension – R&C intitulée « Échappées », nous paraît vivifiant, inspirant. Il est par ailleurs accompagné d’un sous-titre : Explorations en arts vivants. « Explorations » pour maintenir l’idée de « percées exploratoires » dans la matière; « arts vivants » pour bien marquer le champ de réflexion désormais élargi à l’ensemble des arts vivants qui définit nos domaines et objets de recherche.
Longue vie à Percées – Explorations en arts vivants!
Corps scéniques, textes, textualités
Pour inaugurer Percées, Catherine Cyr, professeure au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, et Louis Patrick Leroux, professeur au Département d’études françaises à l’Université Concordia, ont façonné, et ce depuis 2015, un dossier généreux et passionnant intitulé « Corps scéniques, textes, textualités ». On peut dire qu’à travers cette thématique, ils donnent aux premiers pas de notre revue une belle vitalité et entrent en concordance directe avec son sous-titre, à savoir Explorations en arts vivants. Leur « désir de mise en hétérogénéité », fermement revendiqué, associe alors des contributions qui confirment la pluralité des approches dans le champ actuel des études et des expériences scéniques. Distribués selon deux volets, soit « Dispositifs et réception » qui s’intéresse au processus de création des œuvres et aux expériences spectatorielles, et « Démarches » qui ouvre sur des récits de création et de conceptualisation, chacun des onze articles interroge la notion comme la création de texte dans sa relation au corps. L’ensemble des contributions montre qu’il est question d’agencements entre un corps résolument considéré comme un réseau et un texte appréhendé comme une matérialité vivante. Intermédiales et fluides sur le plan disciplinaire, ces réflexions affichent le potentiel de transformation des arts vivants, que l’on pourrait nommer à la manière de Jane Bennett, décrivant l’agentivité de la matière, « un essaim de vitalités3 ». Dans « Documents », section qui confirme son originalité, le dialogue instable entre les corps et les mots se prolonge à travers quatre contributions d’artistes. Chacune nous accueille dans des processus d’écriture sans cesse réinventés qui performent un geste au cœur de la vie plutôt que de se cristalliser en concepts figés.
Aussi dans ce numéro
Dans la partie « Pratiques et travaux », nous présentons deux textes d’autrices italiennes : l’un de Daniela Sacco, chercheuse de l’Université de Milan, qui, à partir d’un spectacle de la compagnie italienne Motus, examine l’utilisation du montage, de la citation et du geste dans une opération métathéâtrale et documentaire; l’autre de Marianna Cifarelli, artiste et journaliste, qui interroge la réception polémique en France des spectacles de Romeo Castellucci. La section « Parcours critique » affirme sa pertinence dans notre revue à travers une contribution de Marie-Claude Garneau, doctorante à l’Université d’Ottawa, qui, avec dynamisme et subtilité, revient sur le chantier féministe du Théâtre Espace Go (2019) en s’appuyant sur les notions d’événement et de quotidienneté, et relevant au final la nécessité de « déconstruire les biais et d’abolir les obstacles qui empêchent les femmes de développer leur plein potentiel ». Dans « Notes de lecture », Stéphane Resche, professeur à l’Université de Paris-Est Créteil, rend compte de l’ouvrage collectif Dispositifs sonores : corps, scènes, atmosphères, publié en 2019 aux Presses de l’Université de Montréal, qui lui paraît assurer le devenir des études sonores dans le domaine du théâtre et plus généralement dans les arts de la scène. De son côté, Lucie Desjardins, professeure à l’Université du Québec à Montréal, s’intéresse là aussi à une publication collective et pluridisciplinaire, Théâtre et charlatans dans l’Europe moderne, parue en 2018 aux Presses Sorbonne Nouvelle, en soulevant le caractère exceptionnel des contributions dans la manière dont sont cernés la réalité ambivalente du charlatan comme les rapports étroits entre médecine et théâtralité. Enfin, sous la rubrique « Revue des revues », Karolann St-Amand, doctorante à l’Université de Montréal, nous offre une recension critique de numéros récents des périodiques Jeu, Études théâtrales et Thaêtre.
Bonne lecture!