En 2010, afin de collaborer à la mise en scène de Dragage1 (Quéinnec, 2012a), la Chaire de recherche du Canada en dramaturgie sonore au théâtre faisait appel au concepteur sonore Alain Mahé. Avant sa venue à Chicoutimi, nous avions déjà fait différentes tentatives pour révéler du texte, au-delà de ses enjeux dramatiques, la fabrication, les sonorités errantes, les images brutes, les nécessités physiques que les mots réclamaient ou, de manière plus trouble, l’atmosphère qu’ils dégageaient. Cette plongée dans la matière du texte avait produit un éclatement de notre approche scénique devenue décentrée par rapport aux enjeux dramatiques et devenue performative dans la mise en jeu de nos actions émancipées du drame. La quête aurale dans laquelle nous nous situions semblait appeler un mouvement hors du cadre. C’est la raison pour laquelle, avec Alain, nous avions décidé d’effectuer notre recherche à partir de cette pièce et hors les murs du théâtre en nous transportant dans les ruines de la Pulperie de Chicoutimi. À la suite d’un déluge, cette ancienne usine de pâtes et papiers fut en grande partie dévastée. Dans le bâtiment 1903 où Jean-Paul Quéinnec nous menait, même s’il restait le toit et les murs, l’espace était ouvert de tous les côtés. Ces brèches architecturales allaient devenir un principe processuel central, une interaction tonique dans notre volonté de faire du texte un champ d’actions et de matières capable de s’agencer aux événements artistiques comme aux aléas de notre environnement (et il y en eut). Loin de toute hiérarchie, le matériau textuel, en écho aux pièces-paysages de Gertrude Stein2, s’est alors exploré « entre » d’autres expressions, au milieu d’autres médias participant d’une dramaturgie intermédiale « où les frontières s’estompent, où nous sommes entre, au milieu d’un mélange d’espaces, de médias et de réalités3 » (Chapple et Kattenbelt, 2007 : 12).
Aujourd’hui, après plusieurs projets qui nous ont guidé·es vers des paysages et des collaborations inédits, vers des créations interdisciplinaires et polymorphes, nous souhaiterions pour cet article, à l’occasion de notre recherche-création sur les phonographies maritimes, montrer que si nos explorations sonores conditionnent toujours plus l’émergence du matériau textuel, elles en révèlent aussi la dimension plurielle, faillible et agentielle. Auquel cas, peut-on encore parler de texte? Ne serait-il pas plus approprié d’évoquer la notion de textualité pour valoriser la matérialité hétérogène et les textures plus imprévisibles qui s’en dégagent? En associant la création d’une textualité à une aventure sonore hors les murs, n’est-ce pas l’occasion d’insister sur une dramaturgie instable, car résolument performative?
Notre objectif ne consiste pas à cerner définitivement ce que nous entendons par une textualité performative, en raison même de sa nature transitoire et de sa forme en connexion constante, comme nous le verrons, mais plutôt à témoigner de l’expérience qu’elle suscite comme de la matérialité ouverte qui s’en échappe, composée non plus seulement des mots mais d’un maillage de médias, de corporéités et de sensations. Plus précisément, nous voudrions sonder et revendiquer ce concept de textualité performative à partir du processus d’exploration, puis de la présentation publique de la création Phonographie maritime, recherche qui a pris place entre 2018 et 2019, du port industriel de Saint-Nazaire, en France, au théâtre de notre université (Université du Québec à Chicoutimi), au Québec. Nous évoquerons différentes étapes de ce trajet pour faire apparaître les pratiques immersives et l’écoute intercorporelle inhérentes à l’écriture in situ de notre textualité, mais aussi la manière dont ces pratiques se transfèrent vers la scène, constituant le socle de notre projet dramaturgique. Nous nous demanderons alors si le choix d’une pluralisation d’espaces scéniques répond à notre textualité récursive et pluridirectionnelle, elle-même en résonance avec l’écologie d’une scène rendue inconstante et indécidée tel « un espace commun du futur » (Clément, 2004 : 24). Enfin, notons que la rédaction de cet article, plutôt que de distinguer l’approche théorique d’une illustration pratique, repose sur un entrelacement de gestes et de réflexions. Chaque sous-partie s’ouvre sur un extrait sonore ou vidéo de nos expérimentations afin de rendre compte du mouvement heuristique qui sous-tend notre démarche.
Exploration aurale pour des textualités
Saint-Nazaire, la ville, son port industriel et ses alentours, s’inscrit dans notre recherche-création qui consiste à valoriser des sons maritimes à partir de trois pays et de trois cultures différentes : le Canada, la Colombie et la France4. Ce projet soutenu en 2018 par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) a pour objectif principal d’expérimenter et de démontrer que l’émancipation de la création sonore au théâtre est l’occasion d’une mutation de l’espace scénique vers une dimension transmédiatique. Pour donner un véritable impact à une pluralisation médiatique et à une extension virtuelle des écritures scéniques, notre recherche sonore se conçoit à la fois dans un rapport au « corps en écoute5 » (« body listening »; Pledger, cité dans Eckersall et al., 2017 : 29) au sein d’environnements réels et concrets, et dans la culture inhérente à ces environnements. C’est bien à partir de ce déplacement de l’enjeu sonore au cœur de sociétés diversifiées et de cette augmentation de la scène pour une plateforme multidimensionnelle que le potentiel d’une textualité performative viendra se confirmer.
Ainsi, pour cette première étape, notre équipe pluridisciplinaire (son, vidéo, danse, poésie, art numérique) a rejoint en France une autre équipe elle-même composée d’artistes d’horizons différents (danse, son, vidéo, poésie, architecture) en vue de phonographier Saint-Nazaire à partir de son chantier naval6. Notre objectif était de vivre des expériences d’écoute à des endroits singuliers qui, peu à peu, nous ont mené·es vers des captations de diverses natures à partir desquelles nous allions produire six performances mobiles disséminées dans la ville (Quéinnec et Giguère, 2019 : 5). Le parcours dont nous allons rendre compte ici nous permet de qualifier les déclencheurs de notre textualité.
L’écoute en son
À partir de cet extrait, nous nous attacherons en premier lieu à ce qui est audible pour ensuite nous intéresser à l’image qui a été produite au même moment, et valoriser ainsi la disparité des matérialités textuelles éprouvées.
Tout en marchant dans la rue, la chorégraphe française Emmanuelle Huynh évoque le paysage à la vidéaste performeuse québécoise Andrée-Anne Giguère qui, filmant les yeux bandés, recompose des images mentales de cette description. Nous sommes le premier jour d’une exploration de la ville-port Saint-Nazaire. Cet exercice consiste à découvrir l’atmosphère du chantier naval à travers le mouvement du corps, la relation à deux, et surtout à travers l’écoute accentuée par la perte visuelle qui met en évidence la visibilité de « l’expérience incarnée de l’écoute » (« a visibly embodied experience of listening »; Pledger, cité dans Eckersall et al., 2007 : 29). Le texte qui se cherche, à l’écoute d’une action à la fois réelle et imaginaire, persistera tout le long de cette recherche.
En entamant notre recherche par un exercice qui suscite et informe un geste aural, nous nous demandions si, au-delà de notre rapprochement avec les arts sonores, la pratique théâtrale pouvait se concevoir plus ouvertement comme une discipline de l’écoute (Vautrin, 2009 : 12), de manière à porter une attention soutenue au renouvellement des procédés de cette écoute. Le principe d’auralité qui frotte entre l’audible et les conditions de ce qui est entendu (Larrue, 2016) induit une part de notre projet. Renouveler la pratique de l’écoute reviendrait à renouveler ses actions (Griffiths, 2003), et cet impact nous permettrait d’affirmer que l’écoute pour capter du son est avant tout une expérience. À partir de sa réflexion en musicologie, Renaud Meric, pour qui l’appréhension de l’écoute consiste à retrouver un lien entre le corps, l’espace et le son, précise que
[l]orsque nous tentons d’appréhender un son dans l’espace, notre corps tout entier se meut, toutes nos facultés gestuelles – auditives, visuelles, tactiles, kinesthésiques – et toutes nos prédispositions imaginatives se projettent vers lui. L’espace se construit alors dans un mouvement réciproque : nous allons vers le son et il vient vers nous (Meric, 2012 : 12).
Le son n’est plus seulement celui d’un objet, mais celui provenant d’un objet inséré dans un contexte (une acoustique), ce qui permet à l’écoute de se mettre en mouvement et au son de mettre en mouvement l’écoute (Hubert, 2016 : 41). Cette mise en mouvement réclame une implication corporelle, charnelle, phénoménologique qui elle-même suscite une intégration dans l’environnement exploré : « “Je” ne peux concevoir le son que “j”’écoute sans le geste que “je” fais pour l’appréhender. Ainsi, l’espace du son est nécessairement et corrélativement “mon” espace » (Meric, 2012 : 346). Seulement, comme cet extrait le laisse entendre, la quête de cette écoute charnelle repose sur un échange, un partage. On pourrait avancer que cette écoute, déjà dans une réciprocité avec l’espace, ne semble « possible qu’à condition d’être partagée ou d’être reprise par le corps [d’un·e autre] » (Cardinal et Dallaire, 2010 : 26), faisant de ce mouvement d’écoute une démarche de création. L’écoute de mon écoute produit une réponse, inspire un commentaire à mon ou ma partenaire à partir duquel se dessine une poïétique verbale, un processus de création en devenir.
Car ce qui nous importait dans cette exploration, c’était ce tâtonnement de mots à mesure que le corps, ce « corps en écoute » (Pledger, cité dans Eckersall et al., 2017 : 29) tel que le conceptualise l’artiste australien David Pledger, éprouve lui-même un espace, s’en saisit en évaluant à petits pas les aspérités acoustiques et physiques d’un environnement urbain. Cette progression aurale implique une double tension que Michel Risse relève en précisant qu’avant de produire du son, il est nécessaire d’« écouter, non pas seulement ce qu’on est soi-même en train de jouer, mais tout ce qui se joue autour de soi » (Risse, 2011). En défendant cette disposition relationnelle entre l’écoutant et son environnement immédiat, le compositeur d’art sonore montre bien que nos actions d’écoute provoquent des phénomènes d’agencements qui élargissent la compréhension de l’expérience de la textualité. Quand Paul Ardenne conceptualise cette approche contextuelle de l’art, il s’empare de l’étymologie du mot contexte, qui renvoie au latin contextere (« tisser avec »), pour mettre en lumière qu’« un art dit “contextuel” regroupe toutes les créations qui s’ancrent dans les circonstances et se révèlent soucieuses de “tisser avec” la réalité » (Ardenne, 2002 : 17). Pour l’artiste contextuel, il s’agit alors moins d’imposer des formes stricto sensu, nouvelles ou non, que d’interagir avec le « texte » que constitue toute société, texte par nature inachevé et offrant toujours matière à discussion dans le cas de la société démocratique – celle, par excellence, de la négociation, de l’alternative et du contrat social évolutif (ibid. : 35). Cette dimension politico-culturelle de notre auralité participe fondamentalement à notre investigation sonore.
Effectivement, la recherche-création que nous menons au sein d’environnements maritimes considère les sons de l’eau en tenant compte aussi des activités et des interrelations entre des gens, des biens, des cultures, des histoires. À travers le « texte » de ces sociétés maritimes, nous souhaitons affirmer la diversité culturelle du son, produire une mise en réseau de réalités lointaines, et influer sur la dimension poétique et esthétique de notre écriture. Le chantier naval de Saint-Nazaire en France, considéré comme l’un des premiers ports industriels d’Europe, nous confronte, entre autres, à un environnement toujours saturé en raison de la construction permanente des paquebots de croisière, à un vaste territoire cosmopolite étant donné la présence de travailleur·euses provenant de partout dans le monde, à une architecture maritime organisée autour d’une base sous-marine (appelée plus communément « le bunker »), témoignage de l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale et dont l’intérieur est aujourd’hui transformé en centre d’art et les toits, en jardins. De fait, en tissant notre auralité avec la réalité nazairienne, nous avons particulièrement observé Le Jardin des Étiquettes de Gilles Clément où sont étiquetées des plantes poussées à la suite du hasard des chutes de graines, ce qui nous a conduit·es à nous plonger dans son Manifeste du tiers paysage (2004). Ce parcours circonstanciel s’est poursuivi en nous entraînant vers un autre Saint-Nazaire, celui des paysages à la marge, d’espaces indécidés ou délaissés à l’orée de la ville comme les bords de route, les rives de l’estuaire de la Loire assemblant « une diversité biologique qui n’est pas à ce jour répertoriée comme richesse » (Clément, 2004 : 1). Dans l’extrait, nous avons pris soin de baliser un trajet assez restreint entre le pont levant et le monument de l’abolition de l’esclavage qui nous ramène sur le front de mer. Ce contexte conditionne notre immersion qui active elle-même notre écoute et, telle une forme qui épouse les faits concrets pour en rendre compte (Ardenne, 2002 : 35), une textualité indécidée se déclenche.
En considérant à la fois le tiers paysage et l’urbanité industrielle dans l’identité nazairienne, nous pouvons dire que cette textualité s’apparente à un résonateur du lieu, comme Daniel Deshays le désigne pour définir une approche sonore dans laquelle l’environnement est décisif :
[...] non seulement [agit-il] comme amplificateur colorant, qui va par ses résonances habiller nos sons, mais aussi comme contexte. Les lieux dans lesquels sont produits les sons ne sont pas neutres; s’ils sont des résonateurs qui marquent la matière, ils sont aussi des lieux sociaux, et leur degré de silence ou la nature de leur bruit de fond exprime une particularité sociale, du calme à la surcharge, à la violence (Deshays, 2006 : 41).
Le texte de la société à l’intérieur duquel nous nous immergeons, qui résonne dans notre textualité en devenir, rend compte effectivement de notre vécu physique et sensoriel du monde et de notre façon d’y être engagé·es, mais aussi de la valeur transformative de cette expérience par le biais de l’imaginaire (Bourassa et Gervais, 2014). Rappelons que dans l’exercice qui est mené, Emmanuelle décrit le paysage à Andrée-Anne qui, ayant les yeux fermés, développe une écoute de tout son corps par laquelle elle imagine et, probablement, transforme la réalité pourtant singulière, d’autant plus que les mots d’Emmanuelle s’égrènent lentement, suscitant des impressions très libres.
Un horizon très bleu
Avec le sentiment
Que tout est très ouvert
Presque une sensation d’avoir un horizon à 360 degrés autour de nous
Le vert des arbres, des arbustes
Dans le bleu
Et les déchirures blanches
Des nuages
Ou des traces
Du Beluga7 ou des avions à réactions […].
Le plus souvent, comme observé dans cette parole descriptive, les procédés immersifs « ont pour but de (re)créer une sensation, parfois un sentiment d’enveloppement et d’enfouissement permettant de solliciter une vision et un toucher périphérique où l’environnement se déploie autour de l’immersant en mouvement » (Andrieu et Bernard, 2014) et en interaction. L’espace-temps se voit redéfini à travers des réalités virtuelles qui invitent l’individu, tant sur le plan physique que cognitif, à transcender, à transformer et à modifier la façon dont son corps habite et vit la réalité. De même, Meric, pour questionner cette limite entre la perception et l’imagination sans cesse déformée et influencée, se demande : « Dans ce que j’écoute, qu’est-ce qui vient du monde, qu’est-ce qui vient de moi? » (Meric, 2012 : 383.) Ainsi, en fonction de l’ambiance, voire même des conditions de perception de cette ambiance8 (Jean-Pierre Thibaud, cité dans Home-Cook, 2016 : 201), le point de vue se voit constamment modifié, entre monde fictionnel et espace tangible. Dans l’exercice décrit plus haut, c’est bien la circulation dans un texte sous forme de dialogues improvisés et interagissant avec le monde non pas seulement tel qu’il est mais tel qu’il est perçu qui aide les performeuses à devenir partie prenante d’une écologie. Cette approche immersive les transforme peu à peu en une composante du paysage parce qu’elle n’évacue pas les sensations plus irrationnelles, indicibles, de l’atmosphère environnante. George Home-Cook note que « quand nous parlons d’atmosphère, nous exprimons quelque chose d’inexprimable, nous sommes envahis par l’humeur ou l’émotion émanant d’un lieu, d’un contexte ou d’une situation en particulier » (idem). Cette part inexprimable chez Home-Cook ou « les angles perdus d’un champ » chez Clément (2004 : 4) aident tout autant à constituer la texture de notre auralité, de son expression. Devenir immersant·e, c’est accepter et transmettre ce qui glisse ou, comme l’interprète Chris Salter, c’est révéler « un pas-vraiment-là, un état intermédiaire, un sentiment qui ne peut être identifié, d’une dynamique défiant notre orientation » (Salter, 2019 : 160) à travers laquelle une parole, bien que défaillante, fait œuvre de façon mouvementée et téméraire. On pourrait dire alors que notre exercice exacerbe cet état; si la perte visuelle chez Andrée-Anne accentue sa fonction d’écoutante en immersion, elle produit aussi, à l’aide de la caméra, comme nous le verrons plus bas, une textualité accidentelle en relation avec un corps composite qui lui échappe.
Tel que nous le mentionnons plus haut, cette implication des « corps en écoute » (celui, humain, des performeuses et celui, non humain, de la caméra) participe aussi au déclenchement d’une autre forme de textualité. Mais de quels corps s’agit-il? En collaborant avec Emmanuelle pour cette phonographie à Saint-Nazaire, nous voulions profiter de sa démarche ouvertement interdisciplinaire qu’elle conçoit « comme une recherche qui part décrypter son objet via tous les fronts et qui révèle aussi les processus de travail des autres » (Huynh, 2019 : 11). À travers ses chorégraphies, elle convoque sur scène autant le corps des danseur·euses que celui des acteur·trices, des musicien·nes, des cinéastes, des plasticien·nes, ou même celui des psychanalystes, des astronautes et des architectes. De plus, elle déhiérarchise la relation entre le corps humain et non humain à travers des explorations organiques et / ou technologiques du son (une voix au micro, un orchestre, un mur de haut-parleurs), de la sculpture (dernièrement un mobile géant), de la scénographie (toujours manipulable), et plus récemment, de la vidéo et de l’écran avec des expériences hors les murs du théâtre (telle sa pièce A taxi driver, an architect and the High Line, réalisée en 2015 à New York). Chez elle, les corps sont capables de se déployer « [...] comme un réseau matériel et énergétique mobile et instable de forces pulsionnelles et d’interférences, d’intensités disparates et croisées » (Bernard, 2002 : 525). Cette proposition de Michel Bernard à considérer le corps dans toute sa corporéité s’insère dans notre recherche de textualité notamment pour en affirmer la part matérielle et plurielle.
L’écoute en image
Durant cette marche, Andrée-Anne filme ce qu’elle ne voit pas. Ses images sont le fruit de ses déplacements à l’écoute des commentaires d’Emmanuelle et de l’environnement. À côté des mots se déroule une autre texture, celle d’une saisie vidéo tremblante et incontrôlable. Andrée-Anne, avec une caméra attachée au bras que ne tient pas Emmanuelle, n’illustre pas, mais forte de sa dérive, elle développe une écoute étendue à sa captation virtuelle de la ville. Les sensations du corps sont relayées par les réactions numériques du matériel. À cet égard, Bernard, évoquant Deleuze et Guattari, nous prévient que « la chair n’est pas la sensation, même si elle participe à sa révélation » (ibid. : 529). La sensation, cette fois partagée entre l’objet et la performeuse, peut, tout en y appartenant, dépasser la pensée phénoménologique de Merleau-Ponty, pour se définir comme une dérive, « un jeu incessant de variations intensives, une dynamique “vibratoire” et “élastique” de changements de niveaux, d’ordres, de seuils et de domaines » (idem). Effectivement, le dispositif avec le médium produit des variations aurales qui se rajoutent à celles du corps. L’image vibrante qui en ressort, loin du documentaire, révèle davantage une matière visuelle où écouter fait voir autrement. Si l’écoute diversifiée et errante permet une relation intuitive à l’image, c’est parce qu’elle nous met dans un état de disponibilité prêt à accueillir la matière. Dans son chapitre sur « Le corps expressif et sonore », la chercheuse et artiste transdisciplinaire Barah Héon-Morissette évoque sa quête d’un « geste-son » (Héon-Morisette, 2019 : 280) répondant à la nécessité d’un geste libre et créatif, mais correspondant aussi à sa corporéité (« embodiment »). La conscience du corps qui devient le vecteur de sa démarche lui permet de se situer dans un « univers sensitif où l’auditif, le visuel et le proprioceptif s’unissent » (ibid. : 274). Loin des objectifs artistiques de Héon-Morissette9, les performeuses, Andrée-Anne et Emmanuelle, font néanmoins l’expérience d’une corporéité qui, pour s’engager dans la captation d’une texture visuelle, installe une relation avec l’appareillage. Prenant appui sur Rebecca Scheinder qui défend que « toute matière est agentielle et que l’agentivité est répartie entre et parmi les matériaux en relation10 » (Scheinder, citée dans Eckersall et al., 2017 : 10), les auteur·trices de New Media Dramaturgy, Performance, Media and New-Materialism (2017) relèvent « cette capacité non signifiante mais toujours significative et communicative dans le monde des objets animés par les artistes11 » (idem). Cette qualité agentielle du corps à l’écoute avec son matériel dévoile de « nouvelles procédures, des technologies et régimes de perception qui nous permettent de consulter de plus près les non-humains, ou d’écouter et [de] répondre plus attentivement à leurs poussées, objections, témoignages et propositions12 » (Bennett, 2009 : 108). En écho avec le concept de « matière vibrante » (« vibrant matter »; ibid. : viii) de Jane Bennett, Emmanuelle et Andrée-Anne, dans leur exercice d’écoute « contactuelle13 », montrent que tout dans leur démarche – l’interaction d’écoute, la relation entre soi et le matériel, c’est-à-dire la matière sonore et visuelle – affirme un besoin de vitalité, de « vibralité », et forme une textualité par inadvertance. Dans cette perspective intermédiale et néo-matérialiste, entre les paroles, les corps (humains et non humains) et le paysage, les captations audio et vidéo rapportent des textures plus nombreuses qui ne se confondent pas, mais s’associent par incidence.
Textualité multiterritoriale
À la suite de cette expérience dans la ville-port de Saint-Nazaire, l’équipe québécoise14 retourne à Chicoutimi, dans le théâtre de l’Université du Québec à Chicoutimi, pour déplier les matériaux récoltés lors de l’immersion. Cette deuxième étape est celle de la création dramaturgique qui se développe uniquement à partir des captations sonores et visuelles, des textes, des objets, des corps et des souvenirs de ce qui a été vécu in situ.
Certes, depuis Dragage (2010), notre volonté d’une scène sans bords s’est peu à peu conceptualisée en s’appuyant sur les notions de « théâtre immersif » (Freydefont, 2011; Bouko, 2016), de « super-champ théâtral15 » (« theatrical superfield »; Eckersall et al., 2017) et de « scène augmentée » (Bardiot, 2015), et notamment à l’aide d’un déploiement sonore et transmédiatique de la scène (plateforme web, 3D et réalité virtuelle [RV]). Mais aujourd’hui, c’est davantage notre expérimentation des principes du tiers paysage durant notre résidence à Saint-Nazaire qui défend le mieux notre désir de substituer à la scène-salle du théâtre traditionnel trois espaces sans bords, autonomes et en interaction : espace physique, espace webradio et espace 3D des lunettes de RV. Cette suite d’agencements scéniques nous permet d’envisager notre textualité comme « un territoire d’investigation des richesses à la rencontre de milieux différents » (Clément, 2004 : 25), autant pour les artistes que pour le public. Dans l’espace physique, ce dernier, sans place assignée, est immergé dans une spatialisation multiphonique composée de huit sources, dont une mobile, et dans les images projetées sur les quatre murs à l’aide de cinq projecteurs, dont un sans fils pouvant être manipulé sur scène. De même, la scène 3D plonge immanquablement les spectateur·trices dans un environnement enveloppant dans lequel leur corps se voit « transplanter dans un contexte et dans un nouveau rapport au réel, où l’espace se détermine comme une étendue (in)définie » (Bernard, 2015 : 15). Ce sont autant de textures matérielles et immersives qui les placent au cœur d’une action et qui « privilégient le facteur relationnel, impliquant une expérience à vivre de façon singulière et partagée » (Freydefont, 2011 : 5).
Les textualités de la scène physique
En revenant de Saint-Nazaire, nous nous sommes demandé comment les déclencheurs de notre textualité éprouvés in situ pouvaient habiter les trois espaces scéniques envisagés et ainsi devenir des moteurs d’écriture. Comment pourrions-nous développer un processus de création semblable à une transduction simondonienne, soit une « opération relationnelle » (Binda, 2015) entre la sensibilité vécue lors des expériences d’écoute (lors des captations, des performances extérieures et sur le web) et une nouvelle sensibilité reliée certes à l’étape nazairienne, mais aussi aux espaces scéniques, pour élaborer cette fois une écriture de notre textualité? Comment faire en sorte que cette écriture dramaturgique de notre textualité continue d’alimenter un « dispositif dispersif » (Quéinnec, 2019) et une « écoute performative » (Kapelusz, 2015)? Cet extrait nous paraît correspondre en partie à la transduction qui se produit entre l’étape d’exploration et celle de création. L’action, ou plutôt cet ensemble d’actions et de matériels situé à mi-chemin de la performance qui s’y déroule, illustre l’écoute disséminée qui anime notre textualité.
Contre un des quatre murs de notre espace de jeu, Édouard Germain, poète de la communauté ilnu de Mashteuiatsh, dit au micro son texte Rôti à la corde (Sakap8an16) :
Je suis
Sakap8an
Qui danse
Qui poursuit
Et résiste
Au vieux du temps
Il a nourri
Notre histoire
De ce monde
Qui défile
Lente cuisson
Souffle de vie
Tourne, tourne
Authentique visage
Trace le passage
Où la terre
Nous unit
Ce poème, proposé à Saint-Nazaire, a été retravaillé à notre retour à Chicoutimi afin de souligner sa forme elliptique en insistant sur la fragmentation de sa prononciation. Au bout de quelques mots, Édouard est rejoint par François Harvey, musicien et concepteur sonore, qui vient jouer avec une corde détachée de sa guitare électrique, elle-même débranchée. Seulement, comme les cordes sont à peine audibles et que le son émis est de l’ordre d’un frottement constant, rien ne semble les unir en dehors de leur proximité. De même, la vidéo d’Andrée-Anne captée lors d’une performance entre Édouard et un musicien17 de Saint-Nazaire, et ici projetée sur deux murs consécutifs, est traitée jusqu’à devenir un matériau informe, une texture de couleurs qui défile au ralenti, loin d’illustrer le duo. En revanche, à l’écart du duo constitué de François et d’Édouard, vers le centre du plateau, Pierre, pris à l’intérieur d’une haute structure rouge et blanche (évocation d’une balise ou d’une partie de grue, notre unique scénographie), malaxe un bloc d’argile émettant des bruits mouillés, dont la résonance (qui reste là aussi discrète malgré l’amplification) pourrait évoquer une certaine connivence avec les images du poème. Également, autour de la structure, María, Andrée-Anne et Jean-Paul, main dans la main, tournent lentement et silencieusement jusqu’à s’accroupir. Cette chorégraphie, transmise par Emmanuelle au cours de nos explorations nazairiennes et qui performe une ligne infinie, devient une ronde sans destination dont les différentes stations rejoignent peut-être les suspensions du texte.
On le voit, une fois sur le plateau, les enjeux se déplacent; il ne s’agit plus de capter le lieu, mais de transformer les textures en présence (textes, sons, images, corps, espaces, objets) en une « matière vibrante ». Le concept performatif de « matière vibrante », que nous avons déjà mentionné lors de l’expérience menée par Emmanuelle et Andrée-Anne, se prolonge à travers notre écriture dramaturgique. Bennett défend un matérialisme vital puisque la vitalité de la matière s’alimente de l’action qui n’est jamais localisée dans un corps, mais distribuée dans un champ, un assemblage hétérogène. Cette créativité propre à la matière suscite des agencements entre l’humain et l’objet qui « dévoilent tout un monde de résonances et de ressemblances entre eux18 » (Bennett, 2009 : 99); il ne suffit pas de remarquer que nous avons un corps mais que nous sommes une variété de corps, et qu’alors nous produisons une textualité récursive et pluridirectionnelle par cette coexistence, en soi, de corporéités, se rapprochant tout à fait de ce que Bernard nommait « intercorporéité » :
Il y a ainsi une ouverture immédiate du corps au corps d’autrui; ou plus exactement, je suis installé dans ce corps comme il est installé dans le mien par nos sens, notre motricité, notre expression même. Il y a réversibilité de sa vision et de la mienne, de son toucher et du mien… etc. Bref, il n’y a plus corporéité simple, mais « intercorporéité » (Bernard, 1995 : 53).
Certes, tout se joue encore dans l’écoute, une écoute globale de chaque corps qui vise à rendre compte de ce maillage de textures dispersées. Pourtant, s’il faut être dans une écoute intercorporelle qui favoriserait « le croisement illimité des virtualités projetées par la diversité des corporéités » (Bernard, 2002 : 529) entre performeur·euses tout en tenant compte de l’esthétique et du médium des un·es et des autres, cela ne signifie pas qu’il faille être dans une relation harmonieuse, mais le plus souvent dans un contact aléatoire, dans l’écart physique, dans la contradiction narrative ou dans un rythme anachronique avec l’autre.
Les textualités de la scène web
Ce maillage des textures qui anime notre recherche de textualité performative se décline aussi sur ce que nous appelons la scène web. Nous avons un désir réel de distinguer les deux espaces de sorte qu’un·e spectateur·trice du web (ou présent·e en salle qui déciderait de revoir la présentation sur le web) vivrait une toute autre écoute de la performance dans l’espace physique. Dans le dernier cahier de phonographie, Andrée-Anne écrit : « De même, les performeurs qui ne peuvent pas jouer du contact, ni se confronter aux spectateurs, doivent transmettre autrement leur jeu et les sons pour la scène web, tout en considérant leurs actions en fonction des deux espaces » (Giguère, 2019 : 16). Cette complexité d’organisation implique une dramaturgie qui se « manipule » en direct. Notre recherche de textualité confirme alors son inscription dans ce que le dramaturge et chorégraphe Peter Stamer a défini comme une « dramaturgie performative » (« performative dramaturgy »; Stamer, 2011) qui résulte non plus d’un programme extérieur qu’il faut appliquer, mais d’une intervention créative à la réalisation de l’œuvre depuis l’intérieur, c’est-à-dire dans les mêmes temps et espace que le processus artistique. Cette dramaturgie qui n’anticipe pas sur le sens à donner à la performance serait plutôt à l’écoute d’un sens qui n’a pas encore été révélé (idem), de sorte qu’il s’agit de laisser dissociés et non définis des espaces d’interaction afin que la forme de l’œuvre assume sa fragilité ainsi que sa malléabilité. Pour nous, cette dynamique performative laisse entrevoir peu à peu ce que pourrait être la textualité d’un tiers paysage en processus évolutif inconstant.
Sur le plan des images, Andrée-Anne fragmente la fenêtre du site pour susciter un agencement inattendu entre les actions saisies à même la performance et celles puisées dans les archives de notre résidence à Saint-Nazaire. En termes sonores, François transmet des compositions audibles uniquement pour les internautes. Dans l’espace physique, des micros et certaines caméras servent aux performances sur le plateau alors que d’autres sont utilisés spécifiquement pour la captation de textures destinées au web; un détail visuel ou sonore d’une intervention physique sera parfois mis de l’avant sur le web, offrant aux spectateur·trices internautes une autre perception de relations mineures. Par exemple, ce que l’on voit sur le web, lorsqu’Édouard dit son texte à côté de François frottant sa guitare avec une corde, est un montage de deux images différentes : l’archive d’une danse de nuit improvisée par Emmanuelle sur la plage à Saint-Nazaire se juxtapose à la captation en direct de la manipulation d’un bloc d’argile par Pierre sur scène. Nous ne verrons jamais apparaître Édouard ou François qui incarnent pourtant l’action principale de l’espace physique à ce moment-là. De ce fait, loin d’être une restitution filmée du plateau ou même une rediffusion de la performance, la scène web engage une autre textualité, souvent celle d’une matière visuelle qui n’est pas forcément en lien avec le son. Dans cette même séquence, où Emmanuelle danse et Pierre manipule la terre, le son de la corde, amplifié depuis la scène uniquement pour le web, se greffe à ce duo par un effet de coïncidence. Sans qu’Andrée-Anne n’intervienne, la durée de la texture sonore demeure souvent en correspondance avec celle de la danse. Cette approche agentielle et intuitive est inhérente à la textualité performative recherchée. Le sens de ce montage reste ouvert et dépendant de ce qui l’entoure. Il en va de même pour la position du ou de la spectateur·trice internaute qui composerait une assistance intermédiale « à mi-chemin entre le matériel et le virtuel, entre le performeur et le spectateur » (Varley Jamieson, 2015 : 376), entre une attention entière et une attention passagère. Ce que la scène web a de particulier, c’est sa destination incontrôlable et donc la diversité des situations de réception. Helen Varley Jamieson reconnaît qu’en raison de sa médiatisation et de sa participation très active au sein de ses propres œuvres, « l’existence d’une assistance intermédiale a le pouvoir de dissoudre encore plus la frontière déjà floue entre spectateur et performeur, ce qui rend problématiques nos motivations et nos intentions en tant qu’artistes créateurs » (ibid. : 378). La scène web est certes accessible partout dans le monde, mais nous n’en connaissons ni le contexte ni le mode d’écoute.
Les textualités de la scène 3D
Cette mise en jeu du ou de la spectateur·trice dans la création d’une textualité performative s’est particulièrement développée à travers notre troisième scène, celle de la 3D et des lunettes de RV. Avec Pierre Tremblay-Thériault, concepteur en arts numériques, nous nous sommes interrogé·es sur la manière dont le·la spectateur·trice pouvait intégrer un espace virtuel depuis la scène physique de façon à contribuer à la dramaturgie performative et dispersive que nous visions. Nous avons cherché ce que nous appelions un trait d’union, une interface que Clarisse Bardiot décrit comme « un espace intermédiaire, une zone de contact [qui] change radicalement le rapport entre espace de la (re)présentation et espace de l’écoute et du regard, entre le faire et le voir » (Bardiot, 2015 : 215). Nous souhaitions une interface légère et sans nécessité d’apprentissage au préalable entre l’acteur·trice, le·la spectateur·trice et l’espace, mais qui implique le corps, l’imagination, la parole et surtout l’échange. À l’instar des frontières indécises de cet espace 3D où « les distances entre le regardeur et l’œuvre n’existent plus » (Bernard, 2015 : 16), il s’agissait de faire en sorte que cette expérience numérique offre aux spectateur·trices « une exploration suffisamment fluide pour être le plus près possible d’une sensation naturelle du corps dans un environnement organique » (Tremblay-Thériault, 2019 : 30), telle une scène physique. Comme en témoigne cet extrait tiré de la version web, à l’occasion de Phonographie maritime :
Nous avons opté pour la réalité virtuelle par l’entremise d’un casque et d’un système de positionnement spatial. La vue, l’ouïe, le va-et-vient de la tête et la faculté de se déplacer dans l’espace sont les éléments de base qui doivent être traités pour aider le spectateur à agir « sur » le plateau numérique (idem).
Mais dans quel contexte se meut ce·tte spectateur·trice? Comme le reste de l’équipe, Pierre s’est rendu à Saint-Nazaire pour vivre une immersion. Depuis, il s’est engagé dans diverses actions d’écoute qui lui ont permis de rassembler des textures photographiques en vue de construire un environnement 3D. Il faut préciser que reconstituer un élément tiré de la réalité pour un environnement à trois dimensions exige environ une centaine de clichés. Ensuite, le processus de transduction chez Pierre, cette interaction entre la sensibilité du corps humain et celle qu’il rencontre, reçoit et élabore (Binda, 2015), a constitué peu à peu un paysage informe, un ailleurs virtuel qui est apparu comme une interprétation poétique, parce que lacunaire, suspendue, improbable et malgré tout identifiable, de la ville. Quand le·la spectateur·trice porte les lunettes de RV, ce paysage ouvert l’entraîne vers une immersion où les images deviennent des espaces habitables19 appelant une sorte d’errance du corps et, bien sûr, une toute autre relation à la corporéité en raison du trouble de sensations kinesthésiques prises entre la perception virtuelle et la réaction physique et émotionnelle. Cette textualité intangible provoque alors une interaction qui s’incarne à travers un comportement proprioceptif et psychologique effectif.
Bardiot, dans un article (2013), souligne que l’interactivité est généralement considérée comme l’une des caractéristiques les plus emblématiques du numérique. Elle s’inspire de la réflexion de Philippe Bootz sur la littérature numérique pour cerner le contrat entre le performeur et le joueur (pour nous, le·la spectateur·trice) quand ce dernier a le pouvoir d’influencer la composition des signes proposés à son interprétation, puis qu’en retour la représentation virtuelle impose au programme de devoir tenir compte de certaines informations fournies par le joueur. Mais surtout, elle rappelle que depuis les années 1990, le corps est bel et bien présent dans les objets numériques « en tant qu’élément actif et moteur, et non pas seulement [comme] récepteur passif et immobile, [qui] apporte une dimension absolument nouvelle par rapport aux techniques de représentation spectaculaire » (Quéau, cité dans Bardiot, 2013). Si notre textualité interactive avec les lunettes de RV implique la prise en compte du corps, la visibilité de cette réaction physique produit une autre relation pour le public qui entoure ce joueur-spectateur et sa machine.
Il est important une fois encore que cette connexion matérielle n’isole pas le performeur, mais qu’elle se déploie en provoquant, sans les contrôler, des actions imprévues, ce que, dans leur panorama de la production artistique numérique et de son état, confirment les auteurs Edmond Couchot et Norbert Hillaire : « Car le corps n’est pas inéluctablement nié dans sa relation à la machine, mais se voit au contraire augmenté de perceptions et de possibilités d’actions nouvelles » (Couchot et Hillaire, 2009 : 21). D’autant que concernant cet extrait, si ses sens sont totalement ouverts à une interaction avec le monde virtuel, le joueur est en revanche rendu aveugle et sans repère dans l’espace réel. Les autres spectateur·trices observent alors que son corps tâtonnant se désorganise à travers des gestes et des mouvements incongrus et pourtant saisissants d’expressivité. La réaction intercorporelle que suscite la textualité numérique semble agir au-delà du virtuel et transformer la conscience du corps du joueur. Quand, tout en marchant, la main de ce dernier, prise dans la découverte du paysage virtuel, rencontre le corps d’une personne dans l’assistance, le heurt engage le joueur définitivement performeur à augmenter rapidement son écoute, son « corps en écoute », pour générer un dialogue « plurisensoriel » élaborant une textualité « sans bords ». De même, stimulé par l’artiste (ici Andrée-Anne), ce « spect-acteur » interagissant, qui « fusionne, jusqu’à les rendre indiscernables, les figures du spectateur et de l’acteur » (Amato et Weissberg, 2003 : 40), témoigne de ce qu’il découvre et ressent. Cette parole descriptive souvent fragmentaire, entrecoupée de petits cris, mélangée à d’autres commentaires (en raison d’une rencontre avec un objet virtuel inattendu ou d’un contact fortuit avec une personne dans la salle) accompagne ses gestes et participe à la texture verbale de la performance. À travers l’immersant·e, les autres spectateur·trices, les percevant·es privé·es de l’expérience avec lunettes de RV (mais pas du contenu projeté sur les murs de l’espace réel), accèdent néanmoins à une transposition, voire même à une transduction, de la textualité de la scène numérique dans la textualité de la scène physique.
Pour caractériser cet échange, Couchot et Hillaire pointent l’instabilité de l’instance énonciative entre « l’auteur-aval » et « l’auteur-amont » (Couchot et Hillaire, 2009 : 110). C’est une manière d’évoquer l’interaction entre le·la spectateur·trice et l’œuvre d’art, et d’accentuer l’idée que la subjectivité du ou de la dit·e spectateur·trice entre en compte et peut devenir un élément clé de la performance. « L’auteur-amont » partage un dispositif et « l’auteur-aval » se l’approprie. Le « spectateur-auteur-aval » ne fait pas qu’interagir avec l’« auteur-amont » des lunettes de RV, pris dans l’espace de la scène physique. Il développe de ce fait une relation événementielle dans l’ici et le maintenant avec d’autres spectateur·trices. Chiel Kattenbelt confirme que cette action intentionnelle, qui est aussi une forme de mise en scène, nous mène vers un concept de situation performative ou de performance (Kattenbelt, 2015 : 102-103). L’ensemble des spectateur·trices est à la fois « expérienceur » (« experiencer »; ibid. : 104), vivant l’expérience d’une réalité virtuelle, tout en étant sujet d’expérience d’une textualité qui se crée au même moment qu’elle se présente. Cette « remobilisation des sens » (Kattenbelt, cité dans Nelson, 2015 : 152) chez les spectateur·trices à travers des actions physiques (voire même chorégraphiques), visuelles, orales, pourrait rendre compte d’une textualité performative.
Ainsi, en construisant une atmosphère à l’écoute de notre immersion nazairienne, nous avons cherché à déclencher une certaine mobilité du ou de la spectateur·trice dans son corps comme dans ses impressions pour faire de cette personne un·e joueur·euse actif·ve et même réactif·ve. La textualité performative qui se révèle entre lui ou elle, les artistes, le matériel et les autres spectateur·trices vient alors modifier à son tour l’ambiance, la recréer. Cette participation du public au processus de jeu nous ramène à la dimension écologique de notre approche corporéisée de la textualité. Notre démarche aurale nous pousse à sortir du contexte inerte que caractérisent parfois les salles de théâtre20. Une fois dehors, il s’agit alors de vivre le champ de forces de l’environnement en le laissant, bien sûr, agir sur nous, mais aussi en agissant sur lui. Cette circulation opère de l’inattendu. L’imprévisibilité de l’expérience aurale est une dynamique centrale dans le processus de notre textualité que nous engageons dès que nous mettons les pieds dans un territoire singulier. En faisant corps avec le vivant (humain et non-humain), notre recherche-création prélève et agence des textures ouvertes et divergentes qui rendent ainsi compte d’une écoute en interaction avec son milieu, mais aussi en connexion avec des éléments hors des limites réelles de ce dernier. Cette relation processuelle, parce que labile et toujours désirante, pourrait alors s’inscrire en partie dans le concept d’écosophie développé par Félix Guattari (1989), et à partir duquel Flore Garcin-Marrou tente de définir un théâtre écosophique qui
donne à voir la vie non-organique des choses, l’appréhension du mouvement pur, une relation directe avec un état brut de la matière. Et c’est important de dire qu’il s’agit toujours du non-organique. Alors que la ligne organique est la ligne du cercle, du cadre, la ligne de la représentation classique, la ligne écosophique est non-organique : c’est une ligne violente qui ne cesse de changer de direction, qui se perd elle-même comme dans un marais (Garcin-Marrou, 2014).
La textualité performative serait-elle l’expérience d’un commun sans bords?
Pour conclure cet article, si nous devions cerner ce concept de textualité performative, nous voudrions faire ressortir sa nature processuelle qui d’abord aura permis d’interroger ce qui, dans ce projet, a tissé du lien. Depuis plusieurs années, l’équipe de la Chaire a réalisé que partir hors les murs du théâtre pour se mettre en situation d’écoute a contribué à déclasser le texte de sa position centrale dans le projet théâtral et de sa forme univoque, celle des mots. Dès lors, nous nous sommes intéressé·es surtout à l’expérience plurielle, active et matérielle que l’écriture textuelle pouvait susciter. En considérant ce qui fabrique le texte, il nous semblait alors plus approprié de parler de textualité autant pour marquer notre intérêt pour la matérialité que pour l’état informe, et donc mouvant, toujours en quête de formes, d’une matière textuelle qui nous échappe. C’est ce travail sur les formes qui, dès notre étape à Saint-Nazaire en France, nous pousse à organiser des dispositifs d’écoute mettant en jeu des corps humains et non humains à la recherche d’une textualité qui soit d’abord un résonateur du lieu où elle s’éveille. Les liens auraux à partir desquels émergent des textures sonores, verbales, visuelles, corporelles sont bien sûr imprédictibles. On pourrait dire alors que l’une des premières dispositions pour appréhender une textualité performative serait une disposition à l’accidentel qui, au moment de sa mise en forme, revendique sa nature imprévisible, d’autant plus que ce processus en marche repose sur des associations hétérogènes et discontinues entre les performeur·euses, leur outil de captation et leur environnement. Si la textualité performative se détermine par ses collisions, elle se révèle aussi par la nature vibrante de sa matière en raison des collaborations qui ne correspondent pas toujours à la communion attendue avec l’autre, mais renvoient davantage au désir, à la résonance de l’autre.
C’est bien cette réaction intercorporelle que nous avons voulu prolonger pour transporter la textualité nazairienne sur la scène du théâtre à Chicoutimi. Tel « un maillage de territoires larges et perméables, imprécis et profonds, en processus évolutif inconstant[,] [...] un indispensable territoire d’errement de l’esprit » (Clément, 2004 : 25), Phonographie maritime se compose de différents paysages scéniques dont la dynamique performative met en valeur la capacité agentielle de la textualité qui nous intéresse, au point où il nous a semblé qu’elle devait s’inventer en coprésence avec l’assistance. Ici, la question du lien que génère la textualité performative avec le·la spectateur·trice touche à l’instabilité de sa position intermédiale autant physique (il·elle n’a plus de place assignée), médiatique (il·elle met en jeu ses propres outils en plus de ceux de la performance) que dramaturgique (il·elle participe toujours plus à la fabrication comme à l’énonciation de l’action). Alors que la quête d’une autre textualité active un processus relationnel continu avec le monde, permettant aux sensations de ne pas se localiser que dans les sons, les images, les corps, les événements, il apparaît qu’elle est aussi l’occasion d’une ressource commune, pas seulement en termes de partage mais également en termes d’agencement, d’interaction artistique. Ainsi, cette textualité faillible que nous expérimentons rend peu à peu possibles des interconnexions d’espaces et de corps sensibles, une chaîne de sensations qui confirme la détermination actuelle de la scène théâtrale à devenir un art vivant qui épuise ses frontières pour ne jamais interrompre le devenir de son écriture.
Image de couverture : Phonographie Saint-Nazaire (performance mobile), avec Jean-Paul Quéinnec, Emmanuelle Huynh, Christophe Havard, Karine Ledoyen, Matthieu Doze, Gilles Amalvi, Jocelyn Cottencin, Edouard Germain, Andrée-Anne Giguère. Base alvéole 11, Saint-Nazaire (France), 2018. Photographie d’Eric Sneed.
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- 1. Pour une analyse plus approfondie de ce projet, voir Quéinnec, 2011 et Quéinnec, 2012b.
- 2. Dans son article « Pièce-paysage », Joseph Danan montre que « [t]extes-matériaux, les pièces-paysages de Gertrude Stein […] sont […] des textes pour la scène, destinés à y côtoyer d’autres matériaux visuels et sonores, bien plus que des “pièces de théâtre” » (Danan, 2005 : 157).
- 3. « The intermedial is a space where the boundaries soften – and we are in-between and within a mixing of space, media and realities ». Toutes les citations en anglais de cet article ont été traduites par nos soins.
- 4. La France est la destination initiale de ce projet. La deuxième étape a eu lieu en août 2019 à Puerto Nariño, un village de pêcheurs dans la région de l’Amazonas en Colombie. En 2021, pour notre dernière expérience, nous nous rendrons, à bord d’un brise-glace, sur le fleuve Saint-Laurent dans le nord du Québec. Ainsi, afin d’assurer un recul nécessaire à notre démarche réflexive, cet article reposera uniquement sur notre première immersion dans la ville de Saint-Nazaire.
- 5. Cette traduction libre de « body listening » tend à marquer l’idée d’expérience somatique qui réside dans ce concept.
- 6. Notre recherche s’intègre à un autre projet qui s’intitule Nous venons de trop loin pour oublier qui nous sommes, un portrait de la ville de Saint-Nazaire réalisé en novembre 2019 par Emmanuelle Huynh et Jocelyn Cottencin.
- 7. Le Beluga (Airbus A300-600ST) est un gros avion de transport dont la forme fait penser au béluga.
- 8. Jean-Pierre Thibaud écrit exactement : « Nous ne percevons pas l’ambiance, nous percevons en fonction de l’ambiance ».
- 9. Dans son texte, Héon-Morissette évoque sa quête d’un « instrument rêvé », le Système Interactif de Captation du Mouvement en Art Performatif (SICMAP), et elle en donne une définition : « Ce dispositif technologique est un système de captation du mouvement en vision par ordinateur fondé sur les six éléments composant ma démarche artistique transdisciplinaire : le corps, le son, le geste, l’image vidéo, l’espace physique et l’espace technologique » (Héon-Morissette, 2019 : 269).
- 10. « all matter is agential and that agency is distributed across and among materials in relation ».
- 11. « this non-signifying but still significant and communicative capacity in the object world brought to life by the artists ».
- 12. « new procedures, technologies and regimes of perception that enable us to consult nonhumans more closely, or to listen and respond more carefully to their outbreaks, objections, testimonies and propositions ».
- 13. Nous faisons référence à la conférence de Paul Ardenne sur « L’art dans l’espace public : un activisme », où il écrit que « [l]’artiste, dans sa manière de contacter autrui, ne fait pas acte d’autorité, […] il agit sans développer de slogan : il promeut, ce faisant, un art “contactuel” doux » (Ardenne, 2011).
- 14. L’équipe québécoise est constituée des personnes suivantes : Édouard Germain, Andrée-Anne Giguère, François Harvey, Pierre Tremblay-Thériault, María Juliana Velez, Jean-Paul Quéinnec et l’assistante Christine Rivest-Hénault. Plus tard, d’autres collaborateurs, Stéphane Bernier, Alexandre Nadeau et Mathieu Valade, se joindront à elle.
- 15. Ce concept est lié au paysage sonore reconsidéré au théâtre qui, aujourd’hui, inclut autant les sons du plateau que tous les bruits qui interfèrent depuis la salle. Ainsi, l’espace scénique se prolonge au-delà de l’espace dramatique, englobant l’environnement entier de la salle.
- 16. Madeleine Jourdain Ka-nelushtat propose la traduction suivante en nehlueun (dialecque algonquin) : « Sakap8an nil / Katekiashka nimit / Katekiashka shukapit / Esh nitilniun / Thitipatsshimumu / Nitshi nulcutam / Ashashku nukum / Tshimikuanipalu, / Tshimikuanipalu / Meshkanakanu / Ute assihtsh / Ka-mamu- / kunueltamatshet ». Pour accéder à notre publication, consulter la page suivante : dramaturgiesonore.com/cahier-de-phonographie-no4-les-phonographies-maritimes/
- 17. Christophe Havard est un compositeur et artiste sonore français qui réalise autant des installations, des pièces électroacoustiques que des créations radiophoniques où le contact du son sur le corps est fondamental (christophe-havard.net/biographie).
- 18. « uncover a whole world of resonances and resemblances between them ».
- 19. Pour accéder au site du colloque « Les images habitables : Arts de la scène et 3D » (2013), consulter la page suivante : www.imageshabitables.com/2013/09/24/colloque-des-images-habitables/
- 20. Voir Dubouilh, 2016.