Depuis 2018, notre trio de professeur·es-chercheur·euses de l’Université du Québec à Montréal, composé de Marc André Brouillette (études littéraires), Francine Alepin (théâtre corporel) et moi-même, Manon Levac (danse), mène un projet intitulé Poésie en scène : corporéité et métaphorisation du texte, qui regroupe nos trois disciplines artistiques. Dans cette recherche, nous interrogeons les dynamiques propres aux poètes en scène dans une approche interdisciplinaire de leur pratique scénique. Le rapport qu’il·elles développent entre le texte, la voix et le corps est abordé selon des paramètres rarement examinés chez les poètes alors qu’ils sont plus couramment étudiés chez les danseur·euses ou les comédien·nes. La pratique de la poésie en scène étant également peu documentée, nous privilégions la méthode de l’entretien semi-dirigé afin de dégager les ressources personnelles et artistiques que les écrivain·es mettent en œuvre en situation de lecture devant public. C’est pourquoi j’ai conduit des entretiens auprès des poètes1 Martine Audet2, Jean-Paul Daoust3, Denise Desautels4 et Annie Lafleur5. Les échanges ont porté sur les représentations, contextes de lecture, postures, modes de préparation et outils qu’il·elles utilisent lors de lectures publiques. En analysant les propos de ces écrivain·es, j’ai cherché à débusquer le « savoir implicite contenu dans le présent du geste, de l’action » (Bruneau et Burns, 2007 : 65). Ma démarche s’inscrit donc dans une étude de pratique, et s’intéresse à ce que fait le·la poète, notamment sur le plan de la voix et du corps, pour livrer son texte devant un public. C’est grâce à la richesse des entretiens que j’ai accédé au sens et au vécu de l’action en situation de lecture. Parce que je me penche sur la pratique, il est à noter que je n’aborderai les processus de création ou les thématiques des œuvres de ces poètes qu’en de rares occasions, et seulement parce qu’ils auront été mentionnés par les interviewé·es afin d’éclairer un aspect de leur prestation scénique.
J’ajouterai que mon regard est nourri par ma longue pratique comme danseuse; une pratique qui m’a souvent amenée à incarner des textes sur scène à travers ma voix, mon corps et ma danse. C’est donc au prisme de l’engagement du corps et des liens particuliers qu’il tisse avec la parole que j’ai déjà examiné mes propres prestations scéniques et celles d’autres artistes (Levac, 2016; Alepin et Levac, 2021). Aux fins de cet article, ma sensibilité particulière au travail du corps, mais aussi à celui de la voix sera mise au service de l’analyse des propos des poètes. Pour ce faire, je m’appuierai sur deux concepts : la vocalité et la corporéité. La vocalité est définie comme « la voix considérée dans sa dimension physique, pulsionnelle, affective. […] [C’]est la voix en tant que matériau musical et physique que les artistes peuvent utiliser pour le chant, la diction, l’expression affective, bref, par tout ce qui peut servir à la représentation scénique » (Pavis, 2018 [2014] : 279). La vocalité émanant des usages de la voix chez les poètes fait écho à la corporéité qu’il·elles mettent en jeu, une corporéité qui « prend en charge la dimension instable, hétérogène et multiple du corps, compris non plus comme réalité objective mais réseau sensoriel, pulsionnel et imaginaire » (Ginot, 2008 [1999] : 718). Vocalité et corporéité permettront d’éclairer la complexité de l’être sensible et agissant qui se trouve au cœur des actions du·de la poète en scène.
Afin de décrire et de nommer ce que fait le·la poète en situation de lecture publique, je porterai d’abord mon attention sur les activités et les états liés à sa préparation. Puisqu’une fois en présence des spectateur·trices, chaque poète réagit différemment, je présenterai ensuite comment est envisagée la rencontre avec le public. Au sujet de la prestation de lecture en tant que telle, j’examinerai plus précisément la place de la voix et du corps, soit les vocalité et corporéité générées. Enfin, j’aborderai les dynamiques singulières qui alimentent les pratiques de poésie en scène d’Audet, Daoust, Desautels et Lafleur, et je parlerai de leur rapport à la performance.
Se préparer à la prestation devant public
Depuis le lancement de son plus récent recueil jusqu’à sa participation à des activités festivalières, le·la poète peut se retrouver seul·e en scène, en compagnie d’autres artistes (poètes, musicien·nes, comédien·nes, danseur·euses) dans des lieux aussi diversifiés qu’une librairie, un bar, une salle de spectacle ou une galerie d’art. Exposé·e au regard et à l’écoute du·de la spectateur·trice pendant la lecture, voire à son appréciation, comment le·la poète envisage-t-il·elle de présenter son texte sur scène, quelle qu’elle soit? À l’instar de l’acteur·trice et du·de la danseur·euse, le·la poète ressent-il·elle le besoin de se préparer à la scène? Et le cas échéant, à quoi s’attache-t-il·elle et comment s’y prend-il·elle? Le choix des textes, la maîtrise de la lecture et enfin la préparation physique et mentale sont les éléments que j’ai retenus pour mettre en lumière la façon dont les poètes se disposent à leur prestation de lecture.
Le choix des textes constitue l’élément fondamental de la préparation. Daoust qualifie ce processus de véritable « enfer », considérant l’imposant corpus dont il dispose et son ardent désir que sa « lecture fonctionne » (entretien du 16 mars 2022). Il rappelle, tout comme les autres poètes interviewées, les différents paramètres temporels et contextuels qui président à la sélection des textes pour une lecture publique. Il s’agira, par exemple, d’une nouvelle parution, de la thématique d’un spectacle littéraire, de la durée allouée pour la lecture, du lieu, du public potentiel. Les poètes considèrent aussi ce qui, dans leur production, se prêtera le mieux à l’oralité ou ce qui rendra compte de leur travail avec le plus d’exactitude. Audet tente de « refaire une suite semblable à l’œuvre lue » (entretien du 13 décembre 2021), de constituer un ensemble condensé; Desautels opte pour l’aspect inédit et la volonté de présenter une certaine variété de son travail. Elle précise :
Quand c’est une lecture brève, ou qu’il y a plusieurs textes qu’on enchaîne dans une lecture, il peut y avoir une alternance entre des textes où la syntaxe exige un rythme rapide, essoufflant, et d’autres où les vers sont courts et très dépouillés, avec beaucoup de silences. […] Cette alternance donne une image plus juste de ce que je fais comme écrivaine, comme poète (Desautels, entretien du 18 décembre 2021).
Dans une approche semblable, Lafleur mise sur des textes dont la charge et les images sont fortes lorsque la lecture est de courte durée. Pour une lecture plus longue, elle distille ses textes à travers le temps alloué et ponctue sa lecture de silences afin de laisser résonner les mots et de faciliter la compréhension de la « langue inédite » (Lafleur, entretien du 6 janvier 2022) qu’est la poésie.
L’étape de la sélection des textes pour un événement donné est suivie d’un travail plus technique de la lecture. Audet n’hésite pas à relire ses textes de nombreuses fois : « Je pratique ma lecture pour que ça ait l’air presque naturel et que ça coule. Et pour me sentir à l’aise, sentir que je ne vais pas buter sur des mots » (entretien du 13 décembre 2021). Elle cultive donc la fluidité de son élocution en repérant de possibles écueils. À travers la pratique, les poètes cherchent aussi à mettre en évidence le rythme et la syntaxe de leurs poèmes par des silences et des jeux de vitesse, oscillant entre accélérations et ralentissements. Il·elles veillent à ce que le souffle et l’émission de la voix se conjuguent à la syntaxe et à la forme du vers pour « garder [celui-ci] sur la ligne » (idem), explique Audet. Lafleur entend plutôt faire sentir l’« équilibre entre le dit et l’écrit » (entretien du 6 janvier 2022).
Bien que la maîtrise de la lecture comporte déjà certaines composantes physiques liées à la diction et au souffle, il apparaît que les poètes ont recours à différents moyens pour se disposer physiquement au passage sur scène. Sans avoir une routine d’entraînement précise, Audet recherche tout de même des ancrages corporels à sa prestation par de nombreuses répétitions de sa lecture et par des exercices spontanés mobilisant la bouche, les lèvres, la langue. En réaction à l’état de suspension qui marque les heures précédant sa prestation, elle se permet aussi de courtes improvisations de danse pour, dit-elle, « être présente physiquement » : « Ça m’aide à ne pas me fuir. Et ça me permet aussi d’être dans le mouvement. Alors qu’ensuite, je vais être sans mouvement, juste dans ma voix » (Audet, entretien du 13 décembre 2021). De son côté, Lafleur s’exerce surtout avec d’autres textes que les siens afin de se délier la bouche et la langue. Lors de ce travail préparatoire, elle retient aussi quelques gestes en lien avec certains passages de ses poèmes. Ces mouvements, qui surviennent spontanément en répétition, ne sont pas chorégraphiés en tant que tels, mais identifiés afin qu’ils puissent resurgir le moment venu. Elle précise : « si je fais une découverte dans un texte et que je me dis qu’elle sera accompagnée d’un geste, je n’aurai même pas à le refaire. Il va se déployer par lui-même. Donc, je vais être attentive à ce phénomène durant les répétitions, durant les pratiques » (Lafleur, entretien du 6 janvier 2022). Pour Daoust, la préparation physique se rapporte à l’élaboration de son allure à caractère dandy. Le poète choisit soigneusement les vêtements et les accessoires (veston, foulard, bijoux, lunettes de soleil) qui participeront à sa mise en scène de lui-même en prévision de sa prise de parole. Il dit :
D’abord je prépare mon look, ça c’est très important! Je dis souvent à la blague : « si vous n'aimez pas le poème, j’espère qu’au moins vous aimez ce que je porte! » Pour moi c’est important que je sois bien dans ma peau, que je sois bien habillé, à mon goût – bref pour moi c’est essentiel. Baudelaire parlait de « la profondeur de la superficialité ». Et ça, j’y crois (Daoust, entretien du 16 mars 2022).
Pour Daoust, cette attention aiguë à son apparence relève également de la préparation mentale, puisqu’elle le dispose à la prestation sur scène. Fier et apprêté, il est paré, dans tous les sens du terme, et prêt à se présenter devant autrui. De plus, son style élégant et mondain constitue une composante importante d’une atmosphère qu’il souhaite propice à la réception de ses textes.
La préparation mentale se rapporte tout à la fois à la mobilisation des ressources sensibles du·de la poète pour la lecture de ses textes à voix haute et à la manière de composer avec le trac et la présence du public. Pour Lafleur, se préparer équivaut à « penser au texte » (entretien du 6 janvier 2022) et à le questionner pour en exprimer le sens de la manière la plus authentique possible par sa voix et par son corps. « [M]a préparation consiste », dit-elle, à « faire apparaître en images les textes dans ma tête […] pour pouvoir les livrer comme je les ressens, comme je les vois, pour être sûre qu’ils m’aient habitée avant que je puisse les livrer sur scène » (idem). Pour Audet, qui se décrit comme timide, se disposer à la lecture publique l’amène certes à se plonger dans ses textes, mais aussi à gérer le trac qui l’envahit. Pour ce faire, elle a parfois recours à la visualisation, à l’instar de plusieurs danseur·euses. Donc, si elle connaît les conditions dans lesquelles se déroulera sa lecture, elle pratiquera ses textes à voix haute en se projetant dans la situation de manière fictive. Desautels confie qu’elle aussi ressent le trac, mais qu’elle ne se reconnaît pas de préparation mentale particulière. Toutefois, elle admet porter une attention méticuleuse à des détails de mise en place sur le lieu même de la lecture publique. Dans ce cas, sa minutie prend valeur de rituel et d’ancrage dans le présent de sa prestation. Quant à l’état requis pour la lecture de ses textes, elle dit : « je peux facilement, je crois, me rejoindre, rejoindre ma petite lumière intérieure. Je peux y avoir accès assez facilement » (Desautels, entretien du 18 décembre 2021).
« [R]ejoindre [cette] petite lumière intérieure » (idem) et « ouvrir son imaginaire pour être là » (Lafleur, entretien du 6 janvier 2022), ajoute Lafleur, sont sans aucun doute favorisés par les préparatifs d’ordre physique ou psychique que je viens de décrire. Mais les poètes ont toutefois soulevé un contrepoint important. En effet, il·elles reconnaissent différents moyens qu’il·elles appliquent en amont de l’événement, mais il·elles veillent également à réagir avec instinct et spontanéité (Desautels, Daoust, Lafleur) pendant la lecture. Lafleur considère même que trop se préparer peut dénaturer le texte : « J’ai peur des fois d’y toucher et que ça se brise. Il y a des textes que je ne veux même pas lire à l’avance parce que je veux préserver cette espèce d’authenticité qui, à mon sens à moi, peut être barbouillée par la préparation » (idem). En ce qui les concerne, Desautels et Daoust évoquent, par exemple, la possibilité de modifier leur choix de texte à la dernière minute. Cette décision spontanée sera motivée, sur place, par leur sentiment envers le déroulement de l’événement ou l’ambiance du lieu. Daoust précise : « je peux très bien arriver et mettre la hache dans cette atmosphère-là pour montrer qu’il y a d’autres choses. Donc à la dernière minute, même si je me suis préparé, je peux changer mon scénario » (entretien du 16 mars 2022). Pour ces deux poètes rompu·es aux lectures publiques, il demeure primordial d’être à l’écoute de leur ressenti du moment et aptes à réagir à leur environnement afin de modifier leur programme en conséquence. Lafleur, quant à elle, modère et module ses préparatifs dans le but de préserver étonnement et saisissement face à son propre texte lorsqu’elle sera en prestation.
Relation avec le public
Tout le travail de préparation tend vers la prestation et la rencontre avec le public. Sur scène, l’attention des écrivain·es est tantôt tournée vers leurs états et leurs sensations intimes, tantôt vers des éléments extérieurs, comme le public. Celui-ci est perçu par les poètes interviewé·es comme une entité tour à tour accueillante, déstabilisante, à conquérir ou à rejoindre. Chaque poète qui s’engage dans le partage de son texte se soucie de la réception que le public lui réservera et développe sa manière de créer une relation avec les spectateur·trices. Trois principaux types de relation au public se dégagent de l’analyse : une attitude agissante, une symbolisation sous forme d’adresse unique et une offrande.
Desautels et Daoust s’avèrent activement engagé·es dans la relation qu’il·elles tissent avec les spectateur·trices. Desautels en parle comme d’un « travail » (entretien du 18 décembre 2021). Elle adopte une attitude agissante et enclenche un mouvement d’« aller vers » le public en recourant notamment au regard dirigé vers les spectateur·trices et à la projection de sa voix :
Dans la mesure où je crois que c’est important de lire ses textes, je crois aussi que le public est important… et que c’est à moi de faire mon travail, d’aller chercher le public, […] de faire en sorte qu’il ait envie de m’écouter, peut-être même envie de me lire par la suite, hors de la scène, dans un livre. Alors, j’essaie de tout faire pour… rejoindre les gens (idem).
Tout comme Desautels, Daoust s’emploie à établir une complicité en allant chercher les spectateur·trices. Le poète se présente en séducteur et en animateur de foule qui n’hésite pas à faire appel à l’humour. Il se montre aussi à l’affût des multiples réactions physiques et émotives qu’il souhaite susciter : « Je veux plaire aux gens, je veux que les gens ne s’ennuient pas durant ma lecture. Oui, je veux les combler, […] aller les chercher, les émouvoir, les faire rire. C’est important que je sente que les gens réagissent […] physiquement, mais qu’ils réagissent au niveau émotif aussi » (Daoust, entretien du 16 mars 2022). Sa longue pratique de lecture dans les bars l’a également amené à interagir avec le public : « si on m’apostrophe, je réponds du tac au tac! » (Idem.) Dans d’autres circonstances, il accentue son ton de voix, ses gestes, décoche un sourire ou modifie subitement son choix de texte. L’attitude du poète à l’égard du public se caractérise par une grande capacité d’adaptation et de réaction en cours d’action.
Le rapport de Lafleur au public est tout autre. La poète oriente plutôt sa prestation vers une seule personne présente dans la salle et dont elle croise le regard au début de sa lecture. Ce·cette destinataire unique centralise l’attention de la lectrice, bien qu’elle ait parfaitement conscience de la présence d’une assemblée de personnes. Elle explique : « Ça va devenir le regard de tout l’auditoire et ça va être ce regard-là, cette personne-là qui va porter tout l’auditoire. Ça rend la chose plus soutenable. […] [C]e petit truc me permet de créer une intimité, de créer une espèce d’habitacle pour le texte […]. Ça humanise aussi le texte. Ça humanise l’expérience » (Lafleur, entretien du 6 janvier 2022). Elle précise que ce procédé est exigeant, mais qu’il s’avère plus efficace et plus harmonieux pour elle, puisqu’elle privilégie des rencontres individuelles au quotidien.
Audet, quant à elle, place son rapport au public à l’enseigne de la confiance en l’autre, à qui elle fait don de son texte. Par le biais de l’offrande, elle interpelle la réceptivité et l’accueil de son travail. Chez Audet, la rencontre avec le·la spectateur·trice est sollicitée de manière indirecte, mais elle relève très certainement de l’invitation et du désir. La poète mentionne :
Je fais confiance à ce que je vais offrir. Je fais confiance à mon poème au moins le temps de cette lecture. J’ai confiance qu’il va être entendu, reçu, écouté, peut-être rejeté après, mais qu’il y a un certain accueil à ce moment-là et que les gens sont venus pour entendre de la poésie. Quitte à ce que ça ne se dépose pas, mais je pense que […] je [suis] une poète qui [fait] confiance au·à la lecteur·trice (Audet, entretien du 13 décembre 2021).
Que ce soit de façon instinctive ou en ayant éprouvé différentes approches au fil de leur pratique, les poètes élaborent donc leurs propres stratégies et moyens au regard de la préparation à la lecture à voix haute et de la relation qu’il·elles établissent avec le public. Puisqu’il ne s’agit pas de simplement dire son poème devant un auditoire, comment la voix et le corps contribuent-ils à porter, voire à incarner le texte présenté?
Une vocalité porteuse d’écriture, d’identité et d’affects
On a vu l’importance que les poètes accordent, lors de l’étape de la préparation, à l’oralité en matière de débit, d’intonation, de jeux de rythme et de silences. La maîtrise de la lecture découle directement de la clarté de cette mise en voix. À cet égard, Jean-Marie Gleize signale combien la fluidité de la lecture relève d’un effort constant : « il restera […] de l’écriture dans la lecture, du geste physique, avec ses ratés, ses scories, ses ratures, ses lapsus, etc. » (2015 : 242; souligné dans le texte). Objet de bien des attentions, ce contrôle technique, mis au profit de la forme et du sens du texte, doit aussi tenir compte de préoccupations liées à la projection et à la stabilité de l’émission vocale, notamment au moment de la prestation. Or, pour les poètes, la voix n’est pas que technicité et contrôle. Elle représente bien plus. Il leur importe, en effet, que par l’expression vocale transparaisse un rapport sensible au texte. Déjà, voix et texte sont si intimement intriqués pour Audet et Desautels qu’ils se côtoient au cœur même de la création. En effet, les deux femmes reconnaissent écrire avec leur voix. Desautels dit accompagner son écriture par la voix, puisqu’elle énonce son texte au fur et à mesure qu’elle forme les mots sur la page, et par le souffle : « Parce que, quand j’écris, je me relis à haute voix. Pas en hurlant, mais je m’entends lire. Après cette lecture, je travaille la découpe, je déplace l’épithète et, s’il y a des virgules, je peux les déplacer, découper le vers autrement » (entretien du 18 décembre 2021). De même, Audet ressent le besoin d’éprouver son texte fraîchement écrit en le proférant pendant qu’elle marche et parcourt la ville. Entendre leur texte, écouter le son de leur propre voix leur retourner mots, vers et strophes permet à ces autrices de mieux ressentir sonorités et cadences. De cette façon, elles peaufinent leur écriture en ciselant la ligne mélodique de la phrase ou du vers depuis le tracé des mots. En ce que Sophie Herr désigne comme une « auto-affectation vocale », la résonance du son en soi active « la trame motrice de la vocalité et de l’audition » (2009 : 80) et produit une forme d’écoute entre le son émis et le son reçu. Cette écoute intime, résultat d’« un mouvement constant d’adaptation entre la voix et l’oreille » (idem), semble s’effectuer dès les premiers jets d’écriture pour Audet et Desautels.
L’intrication entre l’oral et l’écrit lors de l’étape de la création se manifeste aussi chez Daoust et Lafleur. Daoust reconnaît aisément qu’au fil des années, l’exercice de la lecture publique a influencé son écriture tant par le choix d’images issues de la culture populaire que par le recours à la répétition sous forme de litanie. Lafleur, de son côté, affirme avoir écrit son dernier ouvrage en ayant conscience qu’elle le lirait éventuellement devant public. Le fait de se projeter en situation de lecture, de s’imaginer livrer son texte à voix haute a, selon elle, accru le troublant mariage de vulnérabilité et de violence qui parcourt son dernier recueil, Ciguë (2019). Il se joue là une fonction de la lecture publique relevée par Gleize et qui
consiste à comprendre la lecture (il faudrait d’ailleurs dire les lectures, les séquences de lectures, impliquant va-et-vient entre inscription et oralisation, entre travail en retrait et confrontation directe avec des auditeurs), comme partie prenante du geste et du procès de l’écrire, comme nécessaire composante de ce procès (2015 : 245; souligné dans le texte).
En lecture publique, l’oralité se présente comme le principal vecteur par lequel le·la spectateur·trice-auditeur·trice a accès au texte. S’apparentant à une réécriture vocale du texte (Lafleur, Audet), la lecture transpose en « forme-voix » ce qui apparaît dans l’imprimé en « forme-texte » (Audet, entretien du 13 décembre 2021). Conséquemment, c’est « le poème [qui] décide de la mise en voix » (idem), mentionne Audet. Or il ne s’agit pas ici d’une simple transposition d’un « résultat d’une version antérieure, purement mentale » (Baetens, 2017 : 201). Les poètes considèrent aussi que la voix s’entrelace à l’écrit afin de faire vibrer la chair du texte, de dévoiler l’affectivité tapie au cœur de l’écriture. C’est ce que Desautels défend en souhaitant « faire passer dans la voix tout ce qu’il y a dans le texte écrit. […] Mettre de l’avant la sonorité, la tonalité, le souffle, la respiration, le rythme, le silence » (entretien du 18 décembre 2021). Il s’agit d’être au plus près du façonnement du poème, et qu’à travers son expression vocale, le·la poète révèle « comment le poème s’est fait en lui·elle, entre sa tête et sa main » (Audet, entretien du 13 décembre 2021), rappelle Audet. Ce qui émane du texte, jaillissement, élan d’écriture, imaginaire, affect est porté vocalement vers l’auditeur·trice, exposant ainsi la trame tissée entre la tête et la main du·de la poète au moment de l’écriture.
Faire jaillir le texte en son rythme et son souffle contribue à rendre audible la parole singulière d’un·e auteur·trice, son style d’écriture, autrement dit « la voix du texte » (Finter, 2019). Selon Desautels, la conjugaison de la voix du texte à celle de son auteur·trice fournit « non pas un mode d’emploi, mais un mode de voix, un mode de respiration, un mode de souffle […] comme une petite clé qui est sa propre voix pour entrer dans sa poésie » (entretien du 18 décembre 2021). Après avoir vu et entendu le·la poète, le·la spectateur·trice-auditeur·trice peut repartir avec des voix (Desautels, Audet) qui, par la suite, l’accompagneront dans sa lecture silencieuse du recueil de ce·cette poète. L’empreinte vocale de l’auteur·trice resurgira alors à l’oreille du·de la lecteur·trice et restituera la vivacité de la voix du texte. De fait, voix sonore et voix du texte constituent pour Daoust la signature du·de la poète. Selon Helga Finter, « [c]e sont le timbre de ces voix, c’est-à-dire leurs qualités du son, aussi bien que leur mélos, le style personnel du débit » (2014 : 3) qui activent la mémoire vocale et l’imaginaire chez le·la spectateur·trice et de là, participent à l’imprégnation de l’œuvre entendue. David Le Breton ajoute : « Chaque voix possède un paysage sonore, une musicalité qui n’appartiennent qu’à elle » (2011 : 55). Celles d’Audet et de Desautels sont des exemples éloquents : le lectorat et la communauté de la poésie reconnaissent dans les qualités vocales de ces deux poètes des signes marquants de leur identité. S’il est notoire qu’elles se distinguent par leur timbre chaud et grave, les deux femmes entretiennent aussi à maints égards un puissant sentiment de soi en rapport avec leur voix. Nombre d’histoires personnelles recueillies dans leurs entretiens en font foi. Et du côté de Desautels, plusieurs de ses textes traitent de son rapport à la voix, la sienne ou celle des autres6. Cette perception intime en lien avec la résonance vocale et l’ensemble des sensations internes provoquées par le passage de l’air participe aussi de la cénesthésie, ce « sentiment général de son existence » (Centre national de ressources textuelles et lexicales, s.d.). Plus que jamais, l’expression vocale conjugue ici identité, sentiment de soi, sentiment d’exister. On retient aussi qu’elle se tisse au « faire » du poème et qu’elle marque indéniablement la réception du texte par le·la spectateur·trice.
Ce rapport du·de la poète-lecteur·trice à son propre texte s’avère « fondamentalement phonocentriste » (Baetens, 2017 : 201; souligné dans le texte), faisant de la voix le vecteur privilégié pour offrir son texte à l’auditoire. Cela dit, les poètes ne cherchent pas à suivre une formation vocale particulière afin d’assurer leur prestation. Il·elles s’efforcent de donner une lecture claire, audible, sensible, rendue possible par un ensemble de savoir-faire se rapportant à la diction, la projection et la gestion du souffle. Il s’agit bien du déploiement d’une vocalité qui englobe « auto-affectation vocale », mélos, identité, savoir-faire de même que sensibilité, instinct et spontanéité.
Une corporéité vibrante, à la fois pleine et contenue
Malgré le constant souci d’authenticité et de fidélité au texte porté principalement par la voix, le·la poète-lecteur·trice demeure toujours conscient·e qu’« en plus du texte qu’on entend, il y a le texte que l’on voit » (ibid. : 211). En situation de prestation devant public, des « paramètres supplémentaires viennent enrichir la seule voix » (ibid. : 212). Baetens nomme entre autres le corps, le micro, l’éclairage, l’accompagnement musical, etc. En ce qui concerne le corps qui enrichit la voix, on constate rapidement qu’il se rappelle d’abord au·à la poète de façon inopinée par des sensations d’inconfort et de trouble. Associées au trac, ces manifestations relèvent habituellement de l’appréhension ou de l’anticipation de se produire devant public. Vécue par les poètes comme une forme de mise en danger (Audet) ou de combat (Lafleur), la lecture publique sort indéniablement l’écrivain·e de l’intimité de son bureau et confronte son nouveau texte à l’appréciation, au jugement des autres. Mains qui tremblent, yeux qui s’embuent, cœur qui bat la chamade, corps paralysé par la peur (sans oublier gorge nouée et voix défaillante), cette mise en alerte de l’organisme provoquée par la prestation devant public peut se faire plus positive et se transformer, tel qu’en témoigne Audet : « la peur reste, mais j’en ai fait quelque chose » (entretien du 13 décembre 2021). De son côté, Daoust confie que le trac perdure avec les années et peut même magnifier le plaisir ressenti en prestation.
En plus du face-à-face avec le public, Daoust et Desautels ciblent la question des attentes des spectateur·trices, des membres de la communauté littéraire, des parent·es et ami·es comme une autre cause importante du trac. Riches tous·tes deux d’une longue carrière et d’une œuvre abondante, il·elles mentionnent combien leur conscience des enjeux et des expectatives est accrue par l’expérience. Daoust l’exprime ainsi : « quand un poète, ça fait cinquante ans qu’il fait des lectures, là comment je vais être perçu? » (Entretien du 16 mars 2022.) Et Desautels précise : « oui, d’être porteuse de mon propre texte, c’est une exigence supplémentaire. Sans doute qu’il y a trente ou quarante ans, j’avais moins conscience de tout ça » (entretien du 18 décembre 2021). Elle poursuit : « défendre un texte pour la première fois sur une scène, c’est plus exigeant… même devant des gens qui nous connaissent et qui nous aiment. Si c’est un inédit, par exemple, ils vont sans doute l’écouter avec de grandes oreilles. Est-ce qu’ils vont l’aimer? » (Idem.) Dans leur désir de plaire et d’être à la hauteur de l’estime et de la notoriété dont il·elles bénéficient, les deux poètes vivent chaque lecture publique dans un paradoxal mariage de mise en péril et d’audace renouvelées.
On se doit de signaler combien l’expérience corporelle du·de la poète pendant sa prestation est teintée par les paramètres spatiaux précis qui régissent la lecture publique. Et du côté de l’auditoire, ces facteurs particuliers encadrent aussi la façon dont le corps du·de la poète est perçu. Si certains spectacles littéraires mettent en scène des situations de lecture variées dans lesquelles le corps de l’écrivain·e peut être sollicité de diverses façons, le dispositif usuel des lectures publiques place pour sa part le·la poète assis·e ou debout, face à l’auditoire, le corps érigé, derrière une table ou un lutrin, les mains rivées au livre ou aux feuillets et la bouche orientée vers le micro. De plus, le corps du·de la poète apparaît généralement tronqué par la table ou le lutrin. La verticalité de la posture de même que sa frontalité répondent à un certain décorum. Elles se trouvent aussi à faciliter l’émission et la projection de la voix autant qu’elles favorisent l’adresse au public. L’espace de jeu, en matière de mouvements ou de déplacements, est passablement circonscrit, permettant toutefois, au gré de la lecture, une certaine mobilité du visage (surtout de la bouche et des yeux), des mains, de la tête et du torse.
De fait, cette mobilité se caractérise par un petit registre et s’avère soumise à un certain contrôle. Desautels et Lafleur, dont la parole, pendant les entretiens, était fréquemment ponctuée de gestes, d’inclinaisons de la tête et du torse, ont confié restreindre, en lecture publique, les mouvements spontanés qui, d’ordinaire, accompagnent leur expression verbale. Il a rarement été question, dans les propos des écrivain·es, de la production de gestes symboliques ou métaphoriques qui traduiraient, se conjugueraient ou accompagneraient le poème afin d’en révéler ou d’en accentuer le sens. Seul·es Daoust et Lafleur disent rechercher ces effets de temps à autre. Pour Daoust, il s’agit de répondre à ses élans spontanés sous la forme de pas de danse ou de gestes de mains qui voltigent autour de lui. Il reconnaît aussi qu’il lui arrive, en une véritable mise en scène, de répéter certains gestes ou certaines actions d’une fois à l’autre, en insérant une chanson, par exemple. Qualifiées par Daoust d’« intertextes », ces « choses scéniques » (entretien du 16 mars 2022), qui pourraient apparaître extérieures à ce qui était originellement écrit, se conjuguent à la matière-texte pour finalement s’intégrer à l’ensemble. Lafleur, de son côté, démontre aussi un souci d’une relation corps-texte en déterminant parfois des gestes ou des postures clés associés à des endroits précis du texte : « S’il y a une action très claire dans le poème, amenée par une image très claire, je vais placer mon corps d’une certaine façon pour accentuer l’image qui s’en vient » (entretien du 6 janvier 2022). On note ici que Lafleur ne recherche pas une simultanéité entre le mouvement et l’image, mais choisit plutôt de déployer le mouvement avant le mot ou l’image de manière à attirer l’attention du·de la spectateur·trice vers le texte. Elle explique : « [les gens] vont voir que je m’incline. Et ils vont se demander : “Pourquoi elle a besoin de faire ça?” Et la réponse va venir avec ce que je vais dire » (idem).
Ainsi, le corps et la kinesthésie susceptibles d’accompagner la lecture peuvent sobrement laisser transparaître des images, émotions ou états suscités par le texte. En quelques occasions, le corps du·de la poète dégage des visées expressives ou communicationnelles affirmées. De façon générale, Desautels recommande plutôt d’éviter « une trop grande théâtralisation » (entretien du 18 décembre 2021) qui établirait une forme de surenchère entre le texte et le geste. Elle défend une attitude plus subtile et diffuse, consistant à faire comprendre le texte en s’y immergeant : « il faut que le texte entre en nous et nous habite » (idem). Lafleur parle d’une rencontre entre texte et corps qui ne cultive pas systématiquement une expressivité, « mais si effet il y a, ça va être amené par le texte, [et] par le corps aussi » (entretien du 6 janvier 2022). Toutes deux laissent donc advenir l’affleurement d’un émoi engendré par la plongée dans le texte, et fort probablement par la présence d’un public qu’elles souhaitent attentif et réceptif à leurs écrits. Les affects ressentis au moment de la lecture à voix haute sont accueillis, mais leurs manifestations restent pondérées afin que l’expression du corps ne supplante pas la place du texte dans la prestation. Lafleur précise même que « ça va donner beaucoup plus de force, de puissance au texte si on se tient tranquille » (idem).
L’image de ce corps « tranquille » semble être une constante chez les poètes interviewé·es, à l’exception de Daoust qui privilégie un corps exultant. Il se dessine une corporéité vibrante, pleine de la charge affective du texte, mais également contenue dans son expression. La tranquillité recherchée résulte d’une économie kinesthésique, d’un corps palpitant dont l’intensité est extériorisée ou transformée de temps à autre en une gestualité et une mobilité qui s’arriment à certains moments clés du texte. La corporéité vibrante du·de la poète-lecteur·trice se conjugue à la vocalité et se met au service d’« un donner corps à la voix dans et par la matière et la forme corporelle » (Herr, 2009 : 97; souligné dans le texte). Par le souffle et la production sonore, la voix résonne à travers le corps et fait entendre le texte. Dans ce mouvement, le corps, bien que parcouru par le texte, ne vise pas à le rendre visible. Il semble plutôt habité par la tension constante entre voix sonore, ressentis, expressions sensibles, gestes pondérés et manifestations physiques du trac. « La place du corps est irrésolue pour moi dans ma pratique de poésie en scène » (Lafleur, entretien du 6 janvier 2022), affirme Lafleur. L’écrivaine résume bien l’indécision et le questionnement générés par l’usage du corps dans la prestation de nombre de poètes en lecture publique.
Des dynamiques de lecture singulières
L’acte de lecture s’inscrit dans le cadre convenu de l’événement public. Pour le·la poète, il s’avère une exposition de soi qui diffère grandement de celle de la publication. En lecture publique, le·la poète se dévoile dans l’« ici et maintenant » de sa prestation, tant par ses voix écrite et sonore que par son corps. De plus, il·elle est en prise directe avec les réactions des spectateur·trices. Porteur·euse de son texte et également porté·e par celui-ci, il·elle tente d’y donner forme dans l’espace et le temps tout en s’employant à faire converger l’attention des spectateur·trices vers le poème présenté. En prestation, les composantes de la lecture publique telles que le texte, la voix, le corps et la relation au public sont envisagées par les poètes selon divers degrés d’importance. S’il y a consensus sur la place centrale qu’occupe le texte, les autres éléments s’organisent en une géométrie propre à chacun·e. Chaque poète, engagé·e dans une corporéité vibrante et animé·e par une vocalité tout aussi spontanée que travaillée, entretient donc avec la lecture publique une dynamique qui lui est singulière. En conséquence, on observe, chez Audet, une dynamique à l’enseigne du dédoublement; chez Lafleur, de la disparition; chez Desautels, de l’enveloppement; et chez Daoust, de la complicité. Certaines des dynamiques présentées comportent des paradoxes. Elles ont toutefois émergé avec toute la force de leurs contradictions dans les propos des poètes interviewé·es.
Martine Audet et le dédoublement
« [J]e suis très centrée sur mon texte […] et, en même temps, je ne peux pas être tout à fait là… Il faut aussi que je sois détachée pour pouvoir le faire. Sur scène, je regarde les gens si je peux les voir » (Audet, entretien du 13 décembre 2021), signale Audet. Il semble se jouer une cohabitation entre immersion dans son texte et détachement d’avec elle-même lisant à voix haute, comme si elle ne pouvait se concevoir en train de prendre la parole et de se présenter devant un public. Elle nourrit aussi ce détachement en levant les yeux de sa page, en s’extrayant de son texte en quelque sorte, pour les diriger vers le public, provoquant alors une réversibilité de la « regardée » regardant7.
En se rappelant combien la timidité la terrassait au début de sa carrière et combien elle avait l’impression de se « déformer physiquement sur scène » (idem), Audet note l’effet réparateur qu’a eu le toucher bienveillant (une main dans le dos) d’une personne de son entourage pendant une lecture publique alors qu’elle se sentait particulièrement fragile. Le contact l’a instantanément recentrée, la réconfortant dans son corps et dans sa présence physique en ces lieu et moment donnés. Depuis, Audet recherche, lors de ses lectures, une forme de contact physique (une main sur l’épaule, envelopper le micro de sa main, etc.). Un tel toucher semble maintenant participer à la fois du rituel et de la gestion du trac. Cette expérience a permis, selon ses propres termes, « un passage d’acceptation » afin « que tout ça, ce [qu’elle est], participe au poème et pas seulement les mots dits » (idem). La sensation tactile a donc pour effet de la calmer, mais aussi de la reconnecter physiquement. Pourtant, traverser une lecture génère toujours chez elle une certaine ambiguïté. Elle dit vivre « un dédoublement qui n’est pas un dédoublement » : « C’est comme deux parts qui se retrouvent ensemble [c’est-à-dire] ma présence et mon absence. Il y a un peu de ça quelque part d’arriver avec toute son absence au micro et de parler de ça, de la présence selon les poèmes » (idem). Persiste donc ce phénomène de s’absenter d’elle-même pour laisser toute la place au texte, mais survient parallèlement la conscience d’être là, toute là, à formuler ses mots et à les faire advenir à travers son souffle, sa voix et son corps.
Enfin, cette dynamique de dédoublement se retrouve aussi enchâssée dans la particularité de sa voix, dont les fréquences se situeraient au point de rencontre entre une voix de femme et celle d’un homme. Audet y voit un lien avec son écriture qui lui semble évoluer entre les mort·es et les vivant·es. Absence / présence, voix de femme / voix d’homme, mort·es / vivant·es; ce jeu de division, de dissociation qui, dans la prestation, devient parfois cohabitation marque sans cesse le rapport d’Audet à la lecture publique8.
Annie Lafleur et la disparition
La dynamique vécue par Lafleur en prestation fait aussi référence à l’absence, mais à une absence d’une autre nature. La poète cherche à disparaître au profit de son texte. Lafleur explique : « La notion de la disparition sur scène, c’est une façon d’être présent·e avec le corps de l’autre qui, finalement, est le corps invisible du texte. Pour moi, c’est ça une prestation. C’est une personne qui est absente de la salle et qu’il faut imaginer. C’est elle. C’est le texte » (entretien du 6 janvier 2022). Cette personne « absente de la salle », mais dont la présence est convoquée par le texte de Lafleur, a été au cœur des plus récentes expériences de lecture de la poète. Celle-ci présentait alors son recueil Ciguë, inspiré des figures de plusieurs autrices suicidées. Compte tenu de la thématique de son ouvrage, Lafleur évolue en plein paradoxe au moment de la lecture publique en redonnant corps et voix à ces personnes disparues : « Je suis là debout. Je suis en vie, mais je livre un texte alors que je suis supposée être morte » (idem). Elle compose avec cette contradiction en prônant « la disparition de la personne au profit de sa voix, de la corporéité du texte même » (idem). Lafleur en appelle donc à se fondre physiquement dans le texte. Cette corporéité du texte se manifeste non seulement dans l’écriture de Lafleur (rythme, tonétique, etc.), mais aussi dans de nombreuses allusions à la bouche, aux lèvres, à la langue, à l’ingestion de la ciguë, etc. Conjuguer sa prestation aux aspects corporels, affectifs, pulsionnels du texte implique également de s’ouvrir aux bruissements des états de trouble et de désespoir qui parcourent le recueil. En prononçant ses propres mots, en sentant résonner en elle la charge émotive qu’ils portent, la poète-lectrice cherche à sublimer le corps par le texte. Or « la disparition sur scène » demeure un dilemme. Au sujet d’une lecture jugée difficile de Ciguë, elle mentionne : « j’ai essayé de me battre un peu pour réussir à passer par-dessus mon corps, à me piler sur le corps pour lire. Mais je pense que ce n’est pas une bonne idée. Je pense qu’il faut le laisser apparaître pour que le texte s’entende plus fort à la limite » (idem). Faisant référence à Évelyne Grossman et à la défiguration, ce « mouvement de déstabilisation qui affecte la figure » (2004 : 8), Annie Lafleur reconnaît être entraînée lors des lectures publiques dans un cycle de « dé-création et recréation permanentes » (ibid. : 9) entre son texte et elle. Pourtant, rechercher la disparition de soi au profit du texte s’avère, pour Lafleur, un puissant aiguillon à sa prestation.
Denise Desautels et l’enveloppement
C’est au creux du giron de sa grand-mère, en l’écoutant lui raconter l’histoire effrayante de Barbe-Bleue, que Desautels, enfant, fait l’expérience de l’envoûtement de la lecture à voix haute :
[L]ié à sa voix, il y avait tout le bercement de son corps, de ses frissons et des miens mêlés. Il y avait quelque chose – pour une grand-mère catho, rigoureuse, rigoriste même, qui ne s’en rendait pas compte – de très sensuel dans ce rapport de nos deux corps au moment où elle parlait, où j’entendais sa voix… m’effrayer et, en même temps, que je sentais son corps me réconforter (entretien du 18 décembre 2021).
Bercement, écoute et réconfort sont au cœur de la dynamique d’enveloppement qui caractérise le rapport de Desautels à la lecture publique. Si la proximité physique n’a pas lieu d’être dans l’événement public, la voix de la poète, elle, parcourt aisément la distance et se projette vers les spectateur·trices afin de « leur livrer [le poème] dans l’oreille » (idem). Du giron à l’oreille, les figures de l’enroulement et de l’enveloppement sont prégnantes. La filière maternelle se poursuit lorsque la poète confie en entretien avoir hérité de la « raucité » (idem) de la voix de sa mère; une coloration vocale qui distingue Desautels depuis son plus jeune âge et qui lui a valu de cumuler très tôt de nombreuses expériences de lecture à voix haute. Son attachement à la voix, celle de l’autre qui la berce et celle qui marque son identité, est omniprésent dans sa vie et dans son œuvre.
En lecture publique, la poète est animée par le désir de rendre ses textes accessibles, de donner le goût de les lire. Son intention engendre le double mouvement de rejoindre le·la spectateur·trice et de l’accueillir dans son univers poétique : « Quand je suis sur scène, c’est ce que j’ai envie de faire, amener tout ça vers l’autre qui est devant moi. Faire en sorte que je donne le goût de la poésie aux spectateur·trices qui sont là » (idem). Elle ajoute : « Qu’une seule personne […] à la fin d’un récital vienne me dire “je ne vous connaissais pas et maintenant j’ai envie de vous lire”, ça, pour moi, c’est un cadeau » (idem). Faire com-prendre sa poésie en appelle à prendre le·la spectateur·trice avec elle, à faire en sorte que sa voix « soit porteuse de quelque chose qui attire et retienne, qui séduise, quoi » (idem). Par ailleurs, la prestation de Desautels ne repose pas que sur la voix. Privilégiant une attitude posée et une économie de gestes, la poète insiste aussi sur l’importance de son propre regard qui interpelle l’autre et lui confère toute la valeur de sa présence, là, devant elle : « J’essaie […] d’attirer le regard de l’autre… afin que l’autre qui est dans la salle… sente, d’une certaine manière, que je suis consciente de sa présence » (idem). Dès lors, « attirer le regard de l’autre » ne vise pas à orienter ce regard vers elle, mais à favoriser une forme de rencontre qui s’opérerait avec le·la spectateur·trice à travers la voix, l’oreille, le regard et, bien sûr, le texte. Ainsi, Desautels démontre un souci constant à l’égard de la personne qui écoute, aussi bien en la berçant par sa voix qu’en établissant avec elle un contact par le regard. Le partage de son texte à voix haute, même quand ses poèmes sont troublants, se déroule dans une atmosphère enveloppante servie par sa voix singulière et par sa sollicitude envers le·la spectateur·trice.
Jean-Paul Daoust et la complicité
Daoust reconnaît d’emblée qu’il y a des textes qui se prêtent bien à la lecture publique, qui « sont faits pour des envolées » (entretien du 16 mars 2022), et d’autres qui doivent demeurer dans la forme écrite et vivre dans l’intimité du·de la lecteur·trice penché·e sur le recueil de poèmes. « Ces textes-là », dit-il, n’ont « pas besoin de moi. Le texte est écrit, et tout. Alors que d’autres textes […] prennent de l’ampleur en les lisant » (idem). L’ampleur et l’envolée des textes présentés en lecture publique reposent sur la prestation de Daoust, qui installe une circularité constante entre lui, le texte et la salle. Il se dit « véhicule de [s]on texte » (idem) par sa voix et son corps en mouvement et demeure conscient de la présence du public. Car là réside le moteur principal de sa prestation – saisir le pouls du public, interagir avec lui et établir une connivence –, comme il le souligne lui-même : « installer cette belle complicité fait que le texte est là. Mais on dirait qu’il m’échappe, qu’il devient lui-même un personnage […] et qu’il dialogue avec le public. Le texte ne devient plus un monologue, mais une sorte d’osmose entre la salle puis ma présentation » (idem).
Le mouvement premier de Daoust n’est pas de se fondre au texte, mais de lui donner vie en présence du public qui se trouve devant lui, et même avec lui. Dès son entrée en scène, il s’emploie à « mettre la table » (idem), à créer une atmosphère favorable à la réception de ses poèmes. Pour ce faire, Daoust élabore ce qu’il appelle des « mises en scène » (idem) dont l’habillement, les accessoires, la démarche vers le micro et le silence avant de prendre la parole sont des caractéristiques. Le poète affirme être à l’écoute de l’ambiance d’un lieu ou d’un événement, et ressentir de l’empathie envers les spectateur·trices. De plus, il injecte un caractère festif à sa lecture par le biais d’un engagement physique souvent teinté d’exubérance, de surprise et d’éclat. « Je m’amuse sur scène », dit-il, « [u]ne fois la glace cassée, je suis bien sur une scène. Je suis à ma place. Et ça se sent, ça! » (Idem.) En lecture publique, Daoust établit donc un rapport corps-voix-texte qui repose en grande partie sur sa relation avec le public. Reconnu pour la générosité de ses prestations et pour ses qualités de performeur, le poète s’approprie véritablement la scène, conscient du moment, de l’environnement, de sa présence physique et de celle des spectateur·trices.
Performer ou performance?
Dans la lecture à voix haute devant public, les quatre poètes se lancent plus dans l’action de performer que dans une performance. L’action de performer sous-tend de mettre au service de leur lecture à voix haute les aptitudes, les habiletés vocales et corporelles qu’il·elles ont développées au fil des années. Dans leurs façons singulières de livrer leurs textes au public, ces poètes ne s’inscrivent pas dans le genre de la performance, entendue comme une activité à visées perturbatrices, subversives ou revendicatrices (Mayen, 2011; Féral, 2011). Les configurations du poème décrites par Audet, Desautels et Lafleur visent peu à « ébranler les codes […] des représentations corporelles établies » (Mayen, 2011). Elles ne se caractérisent pas non plus par deux autres éléments de la performance tels que les a identifiés Josette Féral, soit « la manipulation de l’espace que le performeur vide pour le découper et l’habiter dans ses moindres replis et recoins, et […] la relation qu’institue la performance entre l’artiste et les spectateurs, les spectateurs et l’œuvre d’art, l’œuvre d’art et l’artiste » (2011 : 183).
En cela, Daoust se distingue des trois autres poètes interviewées en adoptant une posture assumée, voire ludique à l’égard des codes de la scène. Si l’on ne peut parler de performance ou d’ébranlement des codes en tant que tels, force est de constater que le poète joue du réseau de relations entre lui, les spectateur·trices et le poème, en nourrit sa prestation, mais sans se faire subversif. Or il reconnaît avoir défendu, dans les années 1970-1980, une posture « révolutionnaire, un peu casse-cou aussi » en s’affichant comme « gai qui écri[vait] de la poésie, qui ne s’en cach[ait] pas » (Daoust, entretien du 16 mars 2022). Le recours à l’humour et à une forme d’excentricité a, selon lui, contribué à faire accepter « cette poésie-là » (idem). S’il affirme que « maintenant, c’est mieux accepté », Daoust mène toujours, à travers la lecture publique, une mission ayant pour but de « démystifier la poésie », de montrer « qu’elle peut être à la fois sérieuse, festive, lyrique » (idem).
***
« Ce qui est en scène, ce n’est pas moi. C’est le texte » (Lafleur, entretien du 6 janvier 2022), affirme Lafleur. À sa suite, la présente analyse reconnaît cette évidence. Le texte constitue la raison d’être d’une lecture publique et y donne tout son sens. Centraliser sa prestation dans et par le texte demeure la principale motivation des poètes. Cela dit, l’écrivain·e, en lisant son propre texte, permet aussi aux spectateur·trices d’apprécier sa voix sonore, unie à sa voix écrite. Dans sa prestation, il·elle plonge dans des enjeux d’exposition de soi et d’authenticité qui dépassent l’originalité de l’écriture ou la sensibilité de la lecture. Il·elle se trouve à dévoiler la chair de son texte autant qu’à y donner chair par sa vocalité et sa corporéité, de même que par la présence et le regard du public. Le texte n’est pas seul en scène. On réalise dès lors que le partage de son poème à voix haute comprend un ensemble de facteurs. Les éléments exposés dans cet article en ce qui a trait aux outils, aux modes de préparation et à la relation avec le public sous-tendent l’acte de lecture et participent au faire du·de la poète en scène. De plus, l’analyse permet de reconnaître les vocalité et corporéité mises en jeu dans la prestation et ce qui les compose. On voit également que l’engagement des poètes dans la lecture publique s’effectue selon des dynamiques aussi distinctives que celles du dédoublement (Audet), de la disparition (Lafleur), de l’enveloppement (Desautels) et de la complicité (Daoust).
Le portrait présenté est partiel, puisqu’il s’attache à la pratique d’un petit nombre de poètes. Leurs savoir-faire, toutefois, se caractérisent par une expérience considérable et variée, acquise au fil des années et des événements littéraires fréquentés. Les riches parcours de ces quatre poètes permettent de mettre en lumière la complexité de la prestation scénique pour un·e auteur·trice et de dégager un répertoire de cas et de situations déjà nuancé. Il faut toutefois noter que malgré la diversité des contextes de lecture publique que connaissent les poètes de la présente étude, ceux·celles-ci évoluent dans des configurations semblables du poème en scène. Ces configurations, qu’on pourrait qualifier de conventionnelles, ont pour caractéristiques de mettre le texte à l’avant-plan, d’accorder la primauté à la voix et à la lecture par le·la poète lui·elle-même et de s’accommoder d’un corps tantôt perçu comme perturbateur, tantôt considéré comme support appréciable au texte. Bref, comme le dit la poète Hélène Monette :
Je ne suis pas une danseuse ni une comédienne. Je suis timide et, en même temps, ma concentration première va au texte et à la voix. Avec le recul, je dirais que l’important pour moi, c’est la voix. C’est ce qui prime, ce qui va bouger sur le plan des émotions, de la couleur, des variations. J’essaie d’être concentrée sur le texte et mon instrument, c’est la voix, pas le corps en priorité (Monette, citée dans Gagnon, 2004 : 93).
Pour poursuivre sur les limites de cette étude, je rappelle que je m’attache principalement aux propos des poètes. La présente description de la pratique n’est pas complétée, par exemple, par une observation ou une analyse de lectures publiques mises en lien avec les perceptions et représentations énoncées dans les entretiens avec les poètes.
Ce qui est plutôt privilégié, ici, c’est un regard tourné vers l’intérieur d’une pratique. Déjà, un coin du voile est levé sur des usages qui, bien que personnels, sont appuyés sur la solide expérience des quatre poètes et leur réflexivité tout aussi sensible que structurée. À cet égard, les entretiens leur ont permis de nommer et reconnaître certains de leurs modes de fonctionnement. Car les poètes développent habituellement seul·es leurs outils, à coups d’essais et d’erreurs au fil de leurs expériences répétées ou par l’observation d’autres auteur·trices en situation de lecture publique. En général, il·elles ont peu l’occasion de partager les moyens déployés d’une lecture à l’autre, selon les lieux et les contextes. En accueillant leurs propos, en les croisant et en les analysant, j’ai tenté dans ma démarche de compréhension de relever les signifiances qui apparaissent au détour d’une parole, d’une action, d’une perception ou d’une représentation.
En définitive, lire son poème en public se réfracte en de multiples actions. Il s’agit tout à la fois de revivre l’élan créateur sous l’œil du·de la spectateur·trice, d’être galvanisé·e par le regard de l’autre, de vivre son texte en vibrant à nouveau au rythme des images et affects qui y sont enchâssés, de l’incarner par sa voix et son corps et de séduire, partager, s’ouvrir, ouvrir, accueillir et être accueilli·e.
Couverture : Trois personnes lisant, 2012.
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- 1. Dans le cadre de notre protocole de recherche, les participant·es ont accepté que leur nom soit divulgué.
- 2. Depuis 1996, Martine Audet a publié une quinzaine de recueils de poèmes, de livres d’artiste et d’albums pour enfants. Récipiendaire de nombreux prix, elle a également été invitée d’honneur au Marché de la Poésie à Paris en 2018. Son écriture accorde une place centrale au corps, aux élans de vie et de mort et s’attache à révéler la vulnérabilité de l’existence. Son plus récent recueil, Des formes utiles, a été publié aux Éditions du Noroît en 2023.
- 3. Depuis 1976, Jean-Paul Daoust a publié une cinquantaine d’ouvrages de poésie, deux romans et un recueil de récits. Lauréat de plusieurs prix, il obtient notamment le Prix littéraire du Gouverneur général en 1990 pour Les cendres bleues. Considéré comme le poète de la vie crue et des sentiments troublés, il aborde les thèmes de la mélancolie, de la modernité et de l’homosexualité dans ses écrits. En 2022, il fait paraître le sixième volume de ses Odes radiophoniques aux Poètes de brousse et Les garçons magiques aux Éditions de La Grenouillère.
- 4. Membre de l’Ordre du Canada, récipiendaire de nombreux prix littéraires à travers la francophonie, Denise Desautels a publié, depuis 1975, plus de quarante recueils de poèmes, récits et livres d’artiste. Elle est aussi l’autrice de plusieurs textes dramatiques diffusés à la radio. Elle cultive une écriture de l’intime mue par la mémoire, la douleur et le deuil. C’est chez Gallimard qu’on retrouve, en 2022, sa plus récente publication : L’angle noir de la joie, suivi de D'où surgit parfois un bras d’horizon.
- 5. Depuis 2007, Annie Lafleur a publié cinq recueils de poésie dont le plus récent, Ciguë, paru en 2019 chez Le Quartanier, lui a valu d’être finaliste au Prix Alain-Grandbois et au Prix des libraires du Québec. Elle a été membre du comité de rédaction de la revue Estuaire de 2014 à 2018 et collabore comme critique d’art au magazine Spirale. Son œuvre traite du corps comme une énigme et aborde la turbulence et l’intranquillité de personnages féminins.
- 6. Voix (1987), La voix de Martha (1990) et La voix de l’autre (1994), pour n’en citer que quelques-uns.
- 7. Cette réversibilité fait référence au chiasme intrasensoriel défini par Michel Bernard (2001). Surgissant à l’intérieur même de l’acte de sentir, au sein d’une seule sensation, ce chiasme correspond, selon le philosophe, à « la double dimension simultanée active et passive de tout sentir : je suis voyant-vu, touchant-touché, entendant-entendu, etc. » (Bernard, 2001 : 96).
- 8. Soulignons également que l’autrice a publié en 1998 un recueil intitulé Doublures.