Projection d'une image de pieds et de fleuve sur le mur extérieur d'une maison, la nuit. À gauche, une porte entrouverte; à droite, une fenêtre.

Sur les routes de l’Opéra-Manœuvre : Journal des réalisations III

 

 

[La manœuvre] met en branle un processus qui joue sur l’interactivité, sur l’intersubjectivité ; elle n’est pas que le simple déroulement d’un concept clos. Nul ne peut prévoir quels seront les résultats de la manœuvre.

Alain-Martin Richard, « Énoncés généraux : matériau manœuvre », 1990

 

Du 12 au 25 août 2019, j’ai loué une voiture en prévision d’un road trip processuel en compagnie d’Érick d’Orion, artiste interdisciplinaire du son (Duo Massecar • d’Orion).

Ce choix de quitter Montréal s’explique par un besoin de m’éloigner du quartier Centre-Sud de Montréal – de ses limites –, territoire sur lequel s’est construite une grande partie de mon parcours d’artiste depuis 2006, par un désir de faire place à des dérives dans des lieux complètement inconnus et par envie de confronter les assises de ma démarche artistique.

Ce processus de recherche-création à même le réel, sur la route, en mode vagabondage, avait pour objectifs d’explorer mes premières idées conceptualisant l’Opéra-Manœuvre (OpM) et d’en rédiger les énoncés généraux (que nous retrouvons plus loin dans le texte). Le tout en m’appuyant sur les énoncés généraux de la manœuvre artistique d’Alain-Martin Richard (1990), sur le concept de manœuvre de Michel de Certeau (1980) et sur l’opéra comme levier conceptuel pour penser autrement la manœuvre (esthétique de la démesure appliquée au quotidien).

 

SIX SEMAINES PLUS TARD

[7 octobre 2019]

Conférence-Opéra-Manœuvre

Je commence ce journal près de cinquante jours après le road trip. Jeudi dernier, je présentais les premières traces et réflexions de cette étape de recherche-création dans le cadre des journées d’études performatives Écologie des fabriques dans les arts vivants et les arts visuels et médiatiques (Hexagram UQAM, 3-4 octobre 2019, PRint  Pratiques interartistiques et scènes contemporaines).

Il s’agissait d’un récit de processus, jumelé à la diffusion de divers univers sonores et visuels issus du road trip. J’avais imaginé un dispositif de conférence-Opéra-Manœuvre, tel un espace de transmission en plusieurs strates. Un lieu pour explorer les potentialités d’un dialogue entre documentation, compte rendu et nouvelles actions en direct.

Ce dispositif me permettrait d’orchestrer une réactivation de différentes archives tout en conservant le caractère spontané de la manœuvre : mettre de l’avant une manigance qui consistait à solliciter la participation d’Alain-Martin Richard (AMR) à un clavardage  en temps réel  sans l’aviser que la conversation était projetée et intégrée à une conférence devant public.

Le tout, sans pouvoir prédire les résultats, les réactions en direct : est-ce qu’Alain-Martin serait en ligne lors de ma présentation? Serait-il disposé à clavarder avec moi? Est-ce que d’autres personnes tenteraient de m’écrire en même temps? Est-ce que cette action mènerait à quelque chose d’intéressant pour appuyer mon discours entourant l’Opéra-Manœuvre?

 

Écouter le prologue et l’introduction de la conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Montréal, 03.10.19 :

Entretien avec AMR (13.08.19) et lecture du texte pour la conférence par Catherine Lalonde Massecar.
Conception sonore et musique : Érick d’Orion

 

LE ROAD TRIP

Dans le plan initial, le voyage devait se dérouler dans une camionnette habitable, et le parcours routier allait être aléatoire. La camionnette était imaginée comme moyen de dérive, de transport, de lieu de vie, de base de recherche-création et de centrale d’archivage.

Faute de budget, une petite berline remplaça la camionnette. La fonction habitable fut relayée par la généreuse hospitalité de notre réseau d’ami·es et de connaissances qui avaient répondu à notre appel publié sur les réseaux sociaux le 29 juillet 2019.

Par respect pour nos hôtes, nous avons également abandonné l’idée de dérive, et nous avons établi un calendrier et un parcours entre les six lieux d’hébergement. Sans le savoir, ce nouvel agencement de transport et d’habitation allait opérer un glissement majeur dans notre protocole d’opérations quotidiennes. Protocole qui se lisait sommairement comme suit :

  1. Ne jamais rouler sur une autoroute 
  2. Mettre nos pieds dans le fleuve une fois par jour
  3. Utilisation limitée d’internet
  4. Lire tous les matins
  5. Effectuer une manœuvre par jour 
  6. Envoyer une carte postale par jour
  7. Cartographier nos parcours
  8. Explorer plusieurs formes de transformation vers l’OpM

« Protocole et opérations quotidiennes du road trip » posté le 12 août 2019
Règle #06 : envoyer une carte postale par jour
Destinataire : Annie Gérin, directrice de ma thèse-création
Émettrice : Catherine Lalonde Massecar
Carte postale #01

Pour nourrir ma recherche, je prévoyais également rencontrer et interviewer Alain-Martin – qui se trouvait sur notre route – au sujet de « Matériau manœuvre : énoncés généraux » (1990). J’avais imaginé un double thème qui me permettrait de naviguer entre la recherche et la création tout au long du voyage : le thème de la source (sources conceptuelles entourant la manœuvre, sources familiales, source fluviale, etc.) et le thème de l’énigme (questionner : les bases complexes de l’Opéra-Manœuvre; la posture d’artiste-chercheure réceptive à toute la part mystérieuse, poétique et incertaine du processus de création; et l’insaisissable déclencheur de moments d’inspiration et d’actions).

Entre la quantité de kilomètres parcourus, l’intensité de nos arrêts, de nos hôtes, de nos repas et de nos discussions, je pense que c’est nous qui avons été ébranlés finalement. Par autant d’authenticité. Ébranlés par le vrai.

Je me suis laissée déjouer par le réel alors que c’est moi qui tente habituellement de le bousculer!

Extrait de ma conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Montréal, 03.10.19
Message envoyé en direct à AMR. Projeté à son insu sur un écran géant.

 

BASCULER DANS LE PROCESSUS ARTISTIQUE
DU ROAD TRIP

Il est difficile de nommer avec précision le moment exact où, dans le processus du road trip, le voyage et les opérations sont devenus processus artistique :

  • À 9 h 45 alors que nous étions prêts à plonger dans notre mission, mais qu’un délai de réservation de véhicule a repoussé le départ de trois heures?
  • À 12 h 45 quand nous avons pris la route pour sortir de Montréal, quand nous avons enfin roulé sur le pont Jacques-Cartier?
  • À 15 h 32, lorsque nous avons finalement respecté la première consigne du protocole (Ne jamais rouler sur une autoroute) et pris la route 132 à Saint-Vallier?
  • Un peu plus tard lorsque j’ai dessiné ma première carte dans mon calepin (Cartographier nos parcours)?
  • Lorsque nous avons acheté notre première carte postale au ‘royaume du Gosseux’, à Saint-Jean-Port-Joli (Envoyer une carte postale par jour)?
  • Ou lorsque j’ai finalement mis mes pieds dans le fleuve à Saint-Roch-des-Aulnaies (Mettre nos pieds dans le fleuve une fois par jour)?

Le matin, il y avait un état de fébrilité dû au stress de partir en retard. L’horaire était bousculé avant même notre départ. De plus, il y avait cet inconfort – que je ressens souvent – lorsqu’il est temps de changer de posture à même le quotidien/le réel : de voyageuse avec mes habitudes et mes repères, à artiste chercheure. Mais la transition s’opère généralement tranquillement, en plongeant dans le protocole. En me laissant guider par les règles de départ, sans trop en déroger au début.

Je crois que tout a pris son sens, et tout s’est calmé en moi lorsque j’ai mis mes pieds dans le fleuve. Nous avions acheté deux bières pour prendre une pause – l’heure de l’apéro devait approcher. Je suis descendue tranquillement, le long du petit talus de pierres mouillées, froides, pointues, gluantes, glissantes. Seule. Pieds nus dans le fleuve.

Protocole de road trip #02 : mettre nos pieds dans le fleuve une fois par jour.

Je ne peux pas expliquer ce qui m’a poussée à filmer une minute chaque fois. De mes pieds.

Probablement pour marquer notre présence, ma présence (la preuve) et pour archiver un fragment.

Extrait de ma conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Montréal, 03.10.19
Message envoyé en direct à AMR. Projeté à son insu sur un écran géant.

 

Pieds de l'artiste dans le fleuve à Saint-Roch-des-Aulnaies.

Mettre nos pieds dans le fleuve une fois par jour 
Photo : Catherine Lalonde Massecar

Autoportrait de pieds : jour 1, Saint-Roch-des-Aulnaies, 12.08.2019

 

LES SIX HABITATIONS & NOS HÔTES

Six lieux d’hébergement étaient prévus : Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Sainte-Flavie/Mont-Joli, Douglastown, Carleton-Maria, Rimouski et Lingwick.

Jour 1

Il est 18 h

Nous étions prêts à nous diriger vers l’habitation de nos hôtes (Alain-Martin et Nico). Notre première maison d’accueil se trouvait sur le chemin des Sables Ouest. On nous attendait vers 17 h ou 18 h.

 

ÉCARTS ET GLISSEMENTS DE PROTOCOLE

Vous étiez notre première destination sur la route. Nos premiers hôtes. Vous avez placé la barre haute de générosité – bouffe, récits, rire, délire, chien, coucher de soleil, maison hantée!

Vous êtes également notre premier lieu de ‘maison-fleuve’ :

Le flot, le vent, les cailloux, mes pieds et la grève de Saint-Roch-des-Aulnaies se sont mixés à vos criquets, au médaillon d’Oscar et à l’extimité de votre maison de-la-Poc.

Extrait de ma conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Montréal, 03.10.19

Message envoyé en direct à AMR. Projeté à son insu sur un écran géant.

 

Les premières quarante-huit heures ont donné le ton à la suite du road trip processuel. En très peu de temps, une série d’évènements imprévus sont venus transformer la posture initiale de création et la suite de nos opérations quotidiennes. De petits glissements se sont opérés et succédé, accentuant chaque fois l’écart avec le protocole initial.

Alors que j’use normalement de stratagèmes pour manigancer le réel, pour le manœuvrer, pour provoquer des glitchs, l’inverse allait tout doucement se produire. J’allais me laisser infiltrer et transformer par le réel.

 

LES PREMIERS GLISSEMENTS

Hospitalité et générosité

Le premier fait marquant fut la générosité dans l’hospitalité de nos hôtes (générosité qui se poursuivit tout au long du road trip) : on nous attendait avec des festins; on sentait un réel bonheur de nous accueillir et un désir de nous faire vivre une expérience unique dans leurs demeures/localités; nous ne manquions de rien et le confort était remarquable.

Tant de générosité nous a ébloui·es et nos hôtes sont soudainement apparu·es comme des acteur·trices/complices du road trip processuel.

Nous avons ressenti le besoin d’offrir quelque chose : par la nourriture, par l’écoute, par l’art. Dès la deuxième journée, nous avons entrepris de rendre la pareille en leur offrant de préparer le repas (repas soir #2 : pétoncles et turbot). Au protocole devait maintenant s’ajouter quelque chose comme : « remettre à nos hôtes une dose de générosité ».

Cette nouvelle donne fit place à différentes formes de participation qui n’étaient pas prévues. La relation avec nos hôtes allait devenir plus intense et prenante. Nous allions offrir plus d’espace à cet·te « autre » tout en nous inspirant du thème de la source :

• Aller à la source de produits locaux pour offrir et cuisiner un repas à nos hôtes (si possible se nourrir localement).

• Réaliser des entrevues pour connaître leurs liens d’appartenance avec leurs habitations, les lieux et leurs histoires.

• Offrir un moment de transport de « fleuve-maison »…

 

À LA SOURCE LES TRANSPORTEURS DE FLEUVE

À partir de mon protocole initial, j’avais anticipé d’archiver différents matériaux de la quotidienneté tels que des tracés de routes, des bouts d’images de fleuve, des souvenirs de cartes postales, des métadonnées sur le voyage.

Je ne peux pas expliquer ce qui m’a poussée à filmer une minute chaque fois. De mes pieds.

Je peux encore moins expliquer ce qui a déclenché la nouvelle mission des croisements ‘fleuve-maison/fleuve-maison’. Mais à partir de ce moment-là, nous sommes devenus des transporteurs de fleuve(s). Puis les transports se sont accumulés et diversifiés de fleuve(s) à moonshine, à passions, à ail, étoiles, champignons, ânes, pleurs, fleurs…

L’énigme des transports-fleuve(s). Qui, par de simples actions de déplacements, ont provoqué des ‘glitchs’ dans nos quotidiens – le nôtre et celui de nos hôtes –, qui nous ont reliés, le long du road trip. Une sorte de chaîne humaine invisible répartie le long de la 132.

2313 km de solidarité. Quasi-inaudible. Mais bien présente.

Extrait de ma conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Montréal, 03.10.19
Message envoyé en direct à AMR. Projeté à son insu sur un écran géant.

Sans trop questionner le geste, nous nous sommes transformés en « transporteurs de fleuve(s) et de courants d’eau » d’une ville à l’autre. Ainsi, nous avons projeté les archives du fleuve et de la mer sur les maisons de nos hôtes sur le territoire suivant : de Saint-Roch-des-Aulnaies à Sainte-Anne-de-la-Pocatière; de Saint-André-de-Kamouraska au Mon Joli Motel; de la plage de l’Anse-aux-Coques jusqu’à Douglastown; des Méchins jusqu’à Maria; de Carleton-sur-Mer jusqu’à Montréal.

• Nos hôtes devenaient spectateur·trices de ces déplacements de cours d’eau.

• Leurs habitations se transformaient en écran de projection.

• Une relation intime se créait entre l’image et l’habitation.

• Des souvenirs et des émotions de toutes sortes se déclenchaient sur le moment et étaient partagés. Puis de longues discussions se poursuivaient…

 

La vidéo captant les pieds de l'artiste dans le fleuve est projetée sur le mur extérieur d'une maison.

L’énigme des transports-fleuve(s) 
Photo : Catherine Lalonde Massecar

Jour 2 : Saint-Roch-des-Aulnaies transporté à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 12.08.2019

 

À LA SOURCE CONCEPTS ET ORIGINES

Jour 2

Il est 13 h

L’idée des transports fleuve-maison relève peut-être de la sérendipité1. Alors que je cherchais autre chose. En buvant un café au Bonté Divine sur l’avenue Painchaud à la Pocatière. Je voulais présenter les idées entourant le road trip à Alain-Martin avant de l’interviewer sur l’origine de Matériau manœuvre. Je réfléchissais à différentes façons de lui transmettre le tout :

• Et si je montais une petite présentation PowerPoint à projeter sur sa maison, au coucher du soleil (avec mon mini projecteur pico)...

• Et si je lui présentais le protocole et les archives de la première journée…

• Et si je projetais la minute du fleuve de Saint-Roch-des-Aulnaies sur sa maison?

 

Faire voyager le fleuve : quelle merveilleuse transmission pour suivre l’évolution du road trip! Pour en discuter avec nos hôtes, pour les impliquer dans une nouvelle expérience de vécu.

En fin de compte, la présentation du projet se fit tout simplement à l’oral, à la bonne franquette, dans le jardin. Puis nous avons enchaîné avec l’entrevue tout en observant le coucher du soleil. Pendant qu’Oscar, le chien, courait et tentait d’avoir notre attention. Que Nico lisait près de nous, écoutant distraitement.

Avant d’activer le premier moment de croisement ‘fleuve-maison’, j’ai eu l’impulsion de demander à Nico si nous pourrions également l’interviewer (discussion audio également enregistrée). Pour inclure notre second hôte au processus d’échange. Pour qu’elle nous parle de son lien avec cette vieille maison qu’elle avait achetée il y a plus de quarante ans. Qui était hantée. Qui avait été exorcisée.

« J’ai acheté ma maison en décembre 1974 [alors que vous n’étiez même pas nés]. Je travaillais dans le coin et j’avais décidé que je voulais quelque chose [dans la région]. »

« Cette maison a trop d’âmes de tout le monde. Je connais un peu l’histoire de la famille. Quelqu’un est mort dans cette maison. »

Extrait d’entrevue avec Nico

Après seulement 48 heures, j’avais dérogé de nombreuses fois au protocole. Et l’idée de « remettre à nos hôtes une dose de générosité » se déclinait maintenant en trois temps : nourrir, interviewer, transporter le fleuve chez nos hôtes.

 

ENVOYER UNE CARTE POSTALE PAR JOUR

Cette règle nous a forcé·es à chercher chaque jour une carte postale avec une signature locale. À chercher des boutiques de souvenirs. À demander où nous pourrions trouver des cartes postales créées par des artistes de la région ou qui représentent la place.

L’industrie de la carte postale n’est plus ce qu’elle était – selon mes souvenirs. Il est de plus en plus difficile de trouver des cartes locales authentiques. On retrouvait souvent les mêmes images sur l’ensemble du territoire de la Gaspésie. Même la boutique souvenirs La Baleine située à Matane fut d’une grande déception.

 

L'artiste fait un câlin à une boutique souvenirs en forme de baleine souriante.

À la recherche de cartes postales
Photo : Érick d'Orion

Jour 4 : La Baleine, boutique souvenirs, Matane, 15.08.19

 

Érick a rapidement choisi comme destinataire son ami Martin B., un artiste peintre et cinéaste de Québec. Sa mécanique de rédaction hebdomadaire reprenait systématiquement : le jour (1 à 12). Un titre indicatif. Une série de dessins naïfs.

Pour ma part, j’ai choisi d’envoyer mes cartes postales à ma directrice de thèse et de lui faire un suivi de mes recherches. Ma mécanique de rédaction fut beaucoup plus éclatée : liste de protocoles; objectifs de recherche et de création; présentations rhizomatiques d’informations et de résultats de recherche; citations; récits de voyage et récits énigmatiques; courtes descriptions et graphes de l’Opéra-Manœuvre. La seule constance fut l’inscription du jour en haut de la carte : jour 1 à 12. Je me permettais de jouer avec les paramètres d’assemblage méthodologique – rhizomatique, sociologique et phénoménologique – adaptés à la courte forme de la carte postale.

Les archives de mes cartes postales contenaient le cœur des résultats bruts du road trip, même si celles-ci prenaient parfois des formes abstraites ou énigmatiques. J’ai d’ailleurs utilisé mes douze cartes comme base dramaturgique pour la conférence-Opéra-Manœuvre, entremêlées à un récit complémentaire.

 

REVENONS À LA CONFÉRENCE-OPÉRA-MANŒUVRE

Je vais bientôt enclencher ma finale de conférence/opéra/manœuvre.

Je te laisse avec ce petit graphe qui présente en toute simplicité l’Opéra-Manœuvre (l’OpM).

À+ Catherine

celle « qui n’invente rien et sait pourtant magnifier l’invisible2 »

Extrait de ma conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Montréal, 03.10.19

Message envoyé en direct à AMR. Projeté à son insu sur un écran géant.

 

Lettres «OPM» reliées à des mots selon trois axes différents: «Protocole-Dispositif-Manoeuvre-Infiltration»; «Archives-Matériaux-Dispositif»; «Réactivation-Fictionnalisation-Dispositif».

Graphe condensé de l’OpM dessiné à la p. 57 de mon carnet de voyage le 23 août 2019.
Photo : Catherine Lalonde Massecar

 

Chère Annie,

Telle une promesse que je ne veux pas briser,

Je termine avec un graphe condensé,

Une courte définition visuelle de l’Opéra-Manœuvre

 

Ce sont dans ces mots lus dans le micro, devant cet extrait de clavardage et l’image de la carte postale du jour 12 que s’amorçait la conclusion de ma conférence-Opéra-Manœuvre.

Auprès de mon objectif d’explorer mes premières idées conceptualisant l’Opéra-Manœuvre se trouvait la promesse tacite de rédiger une ou plusieurs définitions concrètes et opératoires de l’OpM.

Puis j’enchaînais avec la trame sonore de la conclusion, un extrait distorsionné de Zur Burg Führt Die Brücke (scène 4 Das Rheingold) faisant place aux paroles d’Alain-Martin (entrevue du jour 2) qui répondait à ma question : qu’est-ce que tu comprends de ma démarche d’OpM?

J’aime beaucoup cette idée d’Opéra. C’est très contradictoire avec l’idée de manœuvre mais pas tant que ça !

Je le vois comme une accumulation de matériaux nouveaux.

Qui vont toujours être in situ; conditionnés par l’environnement; ancrés dans une réalité – ce que vous vivrez d’ici deux semaines. C’est un opéra du quotidien.

Extrait de ma conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Montréal, 03.10.19

Sons et extrait d’entrevue avec AMR. 20 secondes.

Et je poursuivais (au micro) :

 

L’OpM est une œuvre/processus du quotidien

qui se divise en trois temps, trois embranchements,

trois formes de dispositifs : de rencontres / d’archivage / et de transmission

Elle est action, inaction puis réactivation.

 

Elle opère à même l’échelle du réel, puis de la démesure

Selon un protocole, un dispositif défini,

Elle se fait œuvre, manœuvre, infiltration et dissolution

 

Je gardais pour la finale la lecture des énoncés généraux de l’Opéra-Manœuvre qui existaient enfin. Ce texte était une réécriture de quelques segments de « Matériau manœuvre : énoncés généraux » (Richard, 1990), texte dans lequel je m’étais immiscée et que j’avais détourné pour y asseoir les énoncés de l’OpM (et que j’avais envoyé un peu plus tôt dans la conférence en clavardage avec AMR) :

J’ai un aveu à te faire…

Je m’amuse à détourner tes énoncés généraux de 1990. Ou plutôt, je m’‘immisce’ dans tes matériaux manœuvres.

Dorénavant, il faudra lire :

Énoncés de l’Opéra-Manœuvre OpM de Massecar

[En remplacement des MM d’AMR qui est parti à la pêche aux maquereaux. Too bad!]

[L’Opéra-Manœuvre est un produit de non-produit. Il(le) est arrêt temporaire, réactif et réactivant de son propre travail. Il(le) est accumulation de ‘matériaux manœuvres’. L’OpM est à la fois processus, œuvre visible et invisible. L’OpM se compose d’ensembles de moyens, d’idées et de concepts artistiques et non-artistiques qui s’organisent selon des cycles d’apparitions et de disparitions. L’OpM n’est pas un opéra, un genre artistique, une œuvre admirable ou un chef d’œuvre. Même si il(le) peut être dramatique, sonore, spectaculaire, opératique, opératoire.]

[…]

L’OpM est énigme, poème, détour, pièce, secret, mystère, ténèbres…

[…]

L’Opéra de la manœuvre EST catharsis, démesure, manigance, agent secret,

over-the top, névrose, ninja, éclipse, déluge, mythologique.

Entretien avec AMR (13.08.19) et lecture du texte pour la conférence par Catherine Lalonde Massecar.
Conception sonore et musique : Érick d’Orion

Écouter la conclusion et l’épilogue de la conférence-Opéra-Manœuvre, Hexagram, Mtl, 03.10.19 :

*

L’énigme de l’Opéra-Manœuvre, c’est aussi la part d’inconnu du protocole qui s’active et qui fait place à des résultats imprévisibles. C’est le « nul ne peut prévoir quels seront les résultats de la manœuvre. » (Richard, 1990)

Durant la conférence-Opéra-Manœuvre, je ne pouvais pas prévoir si Alain-Martin serait en ligne et s’il me répondrait. Finalement, il l’était. Il me répondait. Il ne savait pas qu’il était manigancé à son insu – devant un public – et je ressentais un léger malaise éthique; mais je me disais que l’auteur de Matériau manœuvre comprendrait les bien-fondés de ma démarche.

Je pouvais encore moins prévoir que son ami de Québec, Faguy, se trouverait dans la salle et qu’il l’informerait par texto de ma manigance. Mon dispositif venait de se faire infiltrer par Faguy.

Il y a eu un temps de pause entre mes échanges avec Alain-Martin. J’imagine qu’il assimilait la nouvelle information qu’on venait de lui envoyer. Qu’il comprenait soudainement l’écart entre l’interaction qu’il croyait avoir avec moi et l’interaction réelle que j’avais avec lui et un public. Puis il m’envoya ce message :

Je capote, Faguy, Faguy me dit qu'il m'écoute présentement dans ta conférence HAahaha

Puis il me dit qu’il était « très ému du détournement de [son] texte ». Qu’il trouvait que c’était une « réponse adéquate, presque 30 ans plus tard. Wowo! ».

J’étais également émue et déstabilisée par la finale de cette conférence-OpM. Ce dispositif qui s’appuyait sur l’esthétique de la conférence m’avait permis de transmettre une parcelle d’insaisissable du processus de création, de rejouer les différentes étapes du processus, de proposer une définition de l’OpM mais également de confronter mes idées dans une approche manoeuvrière auprès de l’auteur de « Matériau manœuvre : énoncés généraux ».

La première réaction d’un membre du public fut :

Entre les différentes strates que l’on pouvait observer,

les gestes de manipulation qui nous étaient très familiers

(manipulations technologiques du quotidien),

les images de pieds dans l’eau rejouées dans différents lieux,

on assiste à une sorte de télescopage entre toutes les strates.

 

Et on en vient à fantasmer l’Opéra-Manœuvre,

en passant entre les différentes strates.

 

FD

DÉRIVER ET ATTENDRE

Action, inaction puis réactivation

Ce road trip processuel s’est terminé le 25 août 2019. Les pieds dans le fleuve de la plage urbaine de Verdun. À quatorze kilomètres de chez moi.

Je suis rentrée dans mon Centre-Sud avec le souhait de retrouver ce regard nouveau, comme celui que je portais tout le long du road trip. De retrouver la même force d’attraction que je ressentais envers ces nouveaux territoires (et que j’ai longtemps eue envers le Centre-Sud).

Je suis également revenue avec de nombreuses archives qui attendraient le bon moment, la bonne mission pour être réactivées, pour resurgir autrement, pour raconter des histoires de fleuve, de routes, d’humains et de quotidiens extraordinaires. Pour devenir Opéra-Manœuvre.

 

Fin du journal des réalisations III

Consulter un montage vidéo du road trip processuel (2 min 17 sec.)

 

 

 

REMERCIEMENTS  

 

Érick d’Orion, Annie Gérin et Alain-Martin Richard

Les hôtes de ce fabuleux road trip

Nos alters égos secrets

 

 

Ajout du 21 décembre 2020 :

Visionnez la performance offerte lors du lancement festif tenu conjointement par la Société québécoise d'études théâtrales (SQET), Percées et L'Extension R&C !

 

 

 

 

 

Bibliographie

DE CERTEAU, Michel (1990) [1980], « Faire avec : usages et tactiques », dans L'invention du quotidien I : Arts de faire, Paris, Gallimard, p. 50-68.

RICHARD, Alain-Martin (1990), « Énoncés généraux : matériau manœuvre ». Pour une pratique transgressive des années 90. Inter, art actuel, no 47 (printemps), p. 1-2.

  • 1. « … qualité qui consiste à chercher quelque chose et, ayant trouvé autre chose, à reconnaître que ce qu’on a trouvé a plus d’importance que ce qu’on cherchait. » (Catellin, S. (2014). Sérendipité : du conte au concept. Paris : Éditions du Seuil, 264 p. 177)
  • 2. Pour reprendre la dédicace qu’Alain-Martin Richard m’avait écrit dans son livre Performances, manœuvres et autres hypothèses de disparition paru en 2014. (Ouvrage collectif. Toronto : Fado Performance ; Alma, Québec : SAGAMIE édition d'art, 414 p.)

LALONDE MASSECAR, Catherine (2020), « Sur les routes de l’Opéra-Manœuvre : Journal des réalisations III ». L'Extension, recherche&création, https://percees.uqam.ca/fr/le-vivarium/sur-les-routes-de-lopera-manoeuvre-journal-des-realisations-iii

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