L’intitulé de ce premier Vivarium adopte une forme spéculaire qui évoque bien la nature des contributions qui le composent, lesquelles mettent de l’avant les interrelations circulaires entre les pratiques artistiques et les milieux où elles se déploient : les sujets créateurs, les matérialités et leur environnement s’organisent suivant des dynamiques de co-construction. Si les chercheur·euses-créateur·trices, dont on peut lire et surtout entendre les voix au sein de ce dossier thématique, œuvrent au sein d’environnements qu’ils contribuent à façonner, la singularité de leurs gestes artistiques réside dans les manières dont ils et elles se relient à différents écosystèmes et milieux.
Les approches expérimentales de la recherche-création dont il est question ici abordent tout autant les profondeurs abyssales de l’infrastructure technologique sous-marine (Juliette Lusven, « Sondage sur le trajet projeté. Exploration.135 ») qu’un site d’enfouissement des matières résiduelles (Gisèle Trudel/Ælab, « Une relation étonnante entre arts technologiques et résidus »); la route qui longe le fleuve Saint-Laurent devient la matière processuelle d’un journal autour de l’Opéra-Manœuvre (« Sur les routes de l’Opéra Manœuvre : journal des réalisations III de Catherine Lalonde-Massecar »); la promenade sonore dans différents lieux est, quant à elle, une manière de (re)composer des espaces vibrants (Frédéric Dallaire, « Les espaces résonants : parcours d’écoute, co-vibration et milieu »); enfin, les territoires d’entraînement partagés par des danseur·euses soulignent l’importance de l’expérience vécue pour saisir un milieu (Johanna Bienaise, « Territoires partagés : de l’écologie des pratiques d’entraînement en danse au Québec »).
Ces cinq contributions multimodales cartographient le territoire de la recherche-création actuelle comme un milieu écosensible. Les projets activent de la résonance entre diverses matérialités, ils déploient des pensées incarnées, performées, au sein de formes artistiques et de pratiques hybrides. L’artiste et chercheur·euse entre en dialogue avec l’environnement qu’il·elle habite et qui l’habite, afin de le reconfigurer et de stimuler par son agir des réflexions, de l’imaginaire, de la transformation.
Certains des contenus ont été présentés sous la forme de conférences performatives dans le cadre de journées d’étude performatives organisées par le Groupe de recherche le PRint – scènes contemporaines interartistiques, à Hexagram – UQAM les 3 et 4 octobre 2019. Ces journées, coordonnées par Camille Courier de Mèré, Myriam-Stéphanie Perraton-Lambert et Marie-Christine Lesage, étaient intitulées « Écologies des fabriques dans les arts vivants et les arts visuels et médiatiques ». Elles ont rassemblé une pluralité de propositions en recherche-création (R&C), chacune inscrivant le vivant au cœur de sa démarche artistique. S’il n’a pas été possible de les rassembler toutes ici ni de faire écho aux formes incarnées et retentissantes qui avaient alors été présentées, les publications de ce premier Vivarium offrent des archives tangibles de gestes et pensées qui forgent le cœur de ces pratiques en R&C, lesquelles se révèlent le plus souvent transdisciplinaires. Une des visées des Vivariums consiste justement à enrichir la biodiversité du champ de la recherche-création en arts vivants, en effectuant des maillages au sein des milieux avec lesquels ils échangent matière et énergie, formes et informations, de façon à contribuer à la mise en réseau des pratiques de R&C et de leur territoire. Au sein du Vivarium, l’écriture se déplie de façon vidéographique, sonore et textuelle, toutes ces modalités s’entrelaçant pour faire voir/entendre/ressentir une pensée artistique dans toutes ses ramifications sensibles (peau, nerfs, cellules de la R&C). En vous souhaitant une belle lecture et écoute des sons et des images composés par les auteur·trices de ces habitats fort accueillants pour le vivant.
Marie-Christine Lesage
Image de couverture du dossier : Julie Parent