Une sensibilité sonore révèle les invisibles déplacements cachés sous la surface d’un monde visuel et remet en question la certitude de sa position, non pas pour montrer un lieu meilleur, mais pour révéler de quoi ce monde est fait afin d’interroger son actualisation singulière et d’écouter les autres possibilités qui pourraient aussi advenir, mais qui, pour différentes raisons d’idéologie, de pouvoir et de circonstance, ne prennent pas une part égale dans la production du savoir, de la réalité, des valeurs et de la vérité1.
Salomé Voegelin, Sonic Possible Worlds: Hearing the Continuum of Sound
Dans Résonance : une sociologie de la relation au monde (2021 [2016]), Hartmut Rosa estime que la crise écologique est notamment née du fait que la nature ne constitue plus une sphère de résonance pour l’espèce humaine. Il écrit en effet que « ce qui est au cœur de la crise écologique, ce n’est pas notre traitement déraisonnable des ressources naturelles mais le fait que, à considérer la nature comme une simple ressource, nous lui dénions son caractère de sphère de résonance » (Rosa, 2021 [2016] : 69). En d’autres termes, la communication avec l’environnement dans lequel nous vivons aurait été rompue par la mise en avant d’un rapport plus économique à celui-ci, ce qui empêcherait de l’intégrer dans nos réflexions concernant notre vie sur Terre. Considérer ainsi la nature comme une ressource conduit à différents comportements : rejet ou déni des bouleversements en cours ou, à l’opposé, volonté de protection, de préservation, ce qui revient encore à accorder à l’être humain le rôle principal et problématique du sauveur face à une nature considérée comme faible et en péril.
Cet article n’a pas vocation à désigner la place du théâtre dans le développement d’une conscience écologique. Il prend pour point de départ le croisement entre la nécessité de recréer de la résonance (ou de lui permettre d’exister à nouveau) et l’idée d’Émilie Hache (2014) selon laquelle nous devons non seulement inventer de nouveaux récits pour intégrer les différentes crises environnementales au discours théâtral, mais aussi proposer un changement d’échelle pour mieux percevoir l’altérité et les changements qui l’affectent2. En confrontant des publics à des sons d’environnements naturels potentiellement inconnus à leurs oreilles ainsi qu’à des témoignages en provenance d’espaces non familiers, les technologies sonores ne placent pas les individus en dehors ni au-dessus de ces derniers, mais bien au cœur d’un certain espace rendu sensible. C’est dans cette mesure que nous faisons l’hypothèse qu’elles peuvent proposer de nouvelles formes de récits sur l’environnement.
Nous nous appuierons sur deux pièces différentes créées sur le territoire sud-américain, mais diffusées en France : la performance Altamira 20423 (2019) de l’artiste brésilienne Gabriela Carneiro da Cunha et l’installation Los grillos del sueño4 (Les grillons du rêve) (2019) de Félix Blume, artiste sonore et ingénieur du son français effectuant la majorité de ses créations entre l’Amérique latine et la France. Altamira 2042 est présenté depuis 2021 dans le contexte francophone, notamment en Suisse et en France. Avec cette œuvre, la performeuse propose une sensibilisation immersive et militante aux enjeux écologiques, culturels et économiques du barrage de Belo Monte (Pará, Brésil) construit en 2012 sur la rivière Xingu, un affluent de l’Amazone. Bien que non francophone au départ, cette création vise en France un public géographiquement éloigné de ces enjeux afin de lui partager ce qu’est devenue la vie aux abords de la rivière, notamment par le biais de fragments et de témoignages sonores recueillis sur les lieux. Dans Les grillons du rêve, Blume et les enfants chiliens qui ont participé au projet tissent une sorte de conte autour de la disparition des grillons et de l’impact de leur absence sur la possibilité qu’ont les êtres humains de rêver. L’installation se compose d’une exposition de grillons haut-parleurs, d’un court-métrage relatant le conte et d’une autre vidéo retraçant le processus de création de l’œuvre. Ces pièces explorent, avec leurs outils propres, des manières de nous relier à nouveau avec la nature par le biais de technologies de l’écoute. Celles-ci, d’abord matérialisées sur scène grâce à des éléments de scénographie et des outils techniques, symbolisent la logique de réception-transmission (Haraway, 2020 [2016]) qui sous-tend ces récits sur l’attention à l’environnement. Nous parlons de récits sur l’attention et non de récits sur la protection ou la préservation pour deux raisons. D’abord, ces pièces n’ont pas vocation à enfermer les espaces explorés dans des logiques d’administration territoriale. De plus, nous voulons insister sur le fait que le son est utilisé comme un médium, vecteur d’attention et d’imaginaires, qui ne se limite pas à la seule diffusion (verbale) de savoirs.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur la scénographie de ces deux pièces, qui mettent en avant des outils technologiques principalement sonores, mais aussi visuels. Ces éléments du plateau nous mèneront à la question des imaginaires nourris par les deux créations, qui se situent entre un horizon futuriste non fataliste et un ancrage fort dans un présent concret, mais géographiquement éloigné de leur lieu de diffusion. Cette ouverture à l’international nous conduira enfin à envisager les logiques de partage mises en œuvre, non pas sur un mode uniquement participatif, mais par le biais d’une ouverture aux processus de création et à leurs motivations sociales et politiques.
Les technologies sonores au cœur du dispositif
Ces créations font le choix de placer au cœur de leur scénographie et de leur dramaturgie des technologies de deux types. D’abord des technologies visuelles, puisque des images sont projetées sur un écran dans chacune des œuvres grâce à un vidéoprojecteur (très clairement mis en évidence dans Altamira 2042, où la performeuse va même jusqu’à le porter sur sa tête), mais aussi, et avant tout, des technologies sonores. Des enregistrements préalables ont été effectués et des enceintes présentes sur scène transmettent la création et le travail menés en amont.
Enregistrer puis diffuser : microphones et enceintes assemblées
Dans « Exploring Sonic Worlds: The Significance of “Instrumentality” », Sam McAuliffe et Louise Devenish explorent les façons dont certains matériaux peuvent être « plus que sonores5 » (« more-than-sonic »; McAuliffe et Devenish, 2023 : 24) et dont le monde peut transmettre ces mélodies. Évoquant les sonorités émises par des coquilles d’huître, utilisées par Devenish dans une création musicale, l’auteur et l’autrice se demandent : « Quelles autres caractéristiques sonores du monde, qu’elles soient magnifiques, voire sublimes, sont là, avec nous au quotidien, sans que nous les considérions ou leur prêtions attention?6 » (Ibid. : 40.) Cette question guide également Altamira 2042, tout comme Les grillons du rêve. L’enjeu se situe moins dans la recherche de récits sur les territoires naturels, au sens de pensées narratives ou didactiques, que dans la quête de sons qui nous permettraient de rétablir un lien avec la nature, la technologie faisant œuvre de transmetteur privilégié dans ce cadre. Cette première prise de contact avec des sons naturels passe par la pratique de l’enregistrement. Elle est au cœur de l’ensemble des travaux de Blume, preneur de son pour des films et créateur de pièces sonores, mais est aussi centrale dans Altamira 2042. Si l’enregistrement n’est pas présent comme pratique performée dans les œuvres présentées au public, il reste un élément essentiel en amont du spectacle. Il est alors
pensé comme participant au processus de conscientisation (sonore) portée par l’écologie sonore. Dès que l’on sait l’importance de la sensibilité (et de la techno-esthétique) dans l’objectif de répondre de manière adéquate à la crise écologique, il paraît absurde de se priver du champ entier des pratiques musicales et sonores rendues possibles par l’enregistrement (Freychet, 2022 : 162).
Comme l’explique Antoine Freychet à propos des pratiques du field recording, qui reprennent à leur compte la notion de « paysage sonore » en plaçant la technologie au cœur de son appréhension, le microphone et l’enregistreur permettent de déplacer nos manières de percevoir nos environnements :
L’usage du microphone, notamment, permet d’amplifier les sons environnementaux presque inaudibles; nous conduisant à produire de nouvelles relations empathiques, avec des formes de vie généralement inaperçues ou dévaluées.
En ce sens, il permet la valorisation du milieu sonore dans sa complexité, et dans sa large gamme dynamique. Il revêt une dimension révélatrice et amplificatrice vis-à-vis des êtres et des phénomènes généralement imperceptibles. Loin d’être anodins, cela revient à leur donner une importance au sein de notre sensibilité, de notre monde : à leur donner une voix. Et, ce faisant, en prenant conscience de leur existence sonore, nous établissons une relation avec eux. […] Au fond, il s’agit, ni plus ni moins, de chercher une nouvelle relation humain-environnement à travers le sonore, et ici en particulier, à travers de ce que le microphone révèle ou active du milieu sonore (ibid. : 164; souligné dans le texte).
L’utilisation du microphone comme outil exploratoire et amplificateur se retrouve tant du côté de l’enregistrement du chant des grillons que de celui des sons des territoires jouxtant le barrage de Belo Monte, notamment des sons produits par le Rio Xingu. Ces sons, à l’intensité et à la morphologie particulières, nécessitent un enregistrement minutieux et humble, dans la mesure où un appareil numérique ne peut que tenter d’approcher et d’enregistrer les diverses formes qu’ils revêtent. La réception des sons se présente comme une pratique préalable. Les enceintes ont ensuite pour but de transmettre ces sons à un public éloigné du lieu où ils existent et sont enregistrés.
Si elles prennent différents formats dans les deux spectacles et qu’elles permettent de diffuser du son, comme dans leur usage traditionnel, les enceintes sont également intégrées dans la dramaturgie des dispositifs et ont donc une fonction à la fois technique et esthétique.
Dans Altamira 2042, les enceintes se font scénographie à part entière, puis costume de la performeuse. En effet, elles sont dispersées dans la salle quand le public entre, puis sont manipulées à plusieurs reprises par Carneiro da Cunha ainsi que par des spectateur·trices. Le spectacle se déploie en bifrontal, avec des chaises disposées de part et d’autre d’un espace central où le public peut s’installer à même le sol, au milieu des enceintes. Au début de la pièce, Carneiro da Cunha insère des clés USB dans les différentes enceintes, ou en donne à quelques membres du public pour qu’il·elles puissent aussi lancer des sons. Immédiatement, ces enceintes indépendantes créent une forme de lien direct au son et à la technologie dans la mesure où le public est invité à les manipuler selon un protocole très simple. Le premier son diffusé est celui de la rivière, ce qui révèle d’emblée la dimension centrale qu’occupe sa voix dans la pièce.
Symboliquement, c’est comme si chaque clé USB, objet technologique assez simple, était chargée d’une certaine magie par le fait de contenir des mélodies propres à un territoire. Au cours de la première partie, la performeuse déplace les enceintes pour que ces paysages sonores évoluent dans leur mélodie et leur intensité. Les enceintes créent ainsi des sortes d’îlots sonores mouvants qui inaugurent l’introduction du spectacle, centrée sur la propagation des principaux sons que l’on peut entendre dans la forêt amazonienne, ce qui constitue déjà une découverte pour la majorité du public français. Ajoutons que, comme le montre la photographie ci-haut, les enceintes utilisées sont lumineuses, tandis que l’espace où se joue le spectacle est plongé dans l’obscurité. Cela leur donne une présence esthétique d’autant plus forte, voire un caractère de personnages à part entière ou de totems.
De même, dans Les grillons du rêve de Blume, de petites enceintes sont accrochées à un système de fils, ce qui leur donne l’allure d’abdomens de grillons. Il est assez évident que l’ensemble ainsi constitué d’une batterie, d’une lumière, d’une enceinte et de pattes en fils de fer ressemble assez peu au grillon tel qu’on le trouve dans la nature. Néanmoins, ce dispositif permet de rendre visible un insecte dont on ne perçoit souvent que le son, et d’en donner une image, certes technologique et détournée, mais à une échelle agrandie et avec un aspect qui interpelle. Produire un rendu naturel n’est donc pas le but premier de ces artefacts. Au contraire, ils insistent sur le caractère faux et fabriqué des objets insectoïdes et doublent visuellement l’amplification sonore du chant des grillons. De plus, ils mettent en lumière le fait que ces objets sont transitoires et n’ont pas vocation à remplacer durablement les insectes. En effet, ces artefacts redeviendront grillons dans la fiction proposée par le court-métrage projeté. Ces modes d’utilisation des technologies sonores rencontrent la logique tentaculaire des nouveaux récits que cherche à développer Donna J. Haraway (2020 [2016]) : à l’image de la pensée tentaculaire qui, dans une sorte de mouvement permanent, pense et fait en même temps, les récits développés ici pensent, utilisent les technologies sonores et rejettent un mode de création purement linéaire pour se concentrer sur des motifs circulaires. Avec ces récits qui nous mettent en connexion entre vivants, qui nous font entendre des sons et des histoires d’autres formes de vie, « [nous nous] rend[ons] mutuellement capables » (Haraway, 2020 [2016] : 277). Si nous redonnons aux grillons la possibilité et la capacité de vivre en pleine nature, ils nous offriront en retour, par leur chant, la capacité de rêver lorsque nous dormons. Cette fable met ainsi en valeur l’équilibre écologique qui devrait présider à la cohabitation entre les espèces au sein d’un même écosystème. Nous pouvons ici établir un parallèle avec le sentiment de la vulnérabilité commune et de l’interconnexion de nos existences qui fonde les éthiques du care. En d’autres termes, c’est en prenant conscience que nous sommes tous, êtres humains et non humains – ou « plus-qu’humains » (Abram, 2020 [1996]) selon la terminologie de David Abram –, potentiellement touchés par les bouleversements en cours que nous pourrons inventer et prendre en charge des solutions collectives.
Technologies de transmission contre technologies d’invasion
Le paradoxe qui sous-tend les deux spectacles réside précisément dans l’usage de la technologie par les êtres humains. En effet, dans un cas, c’est un barrage construit par une entreprise peu soucieuse de l’Amazonie qui est mis en cause; dans l’autre, c’est plutôt l’utilisation systématique de technologies polluantes et invasives conduisant à la disparition progressive des espèces. Dans Le grand orchestre animal (2013 [2012]), Bernie Krause étudie la cohabitation entre êtres humains et non humains dans un même espace sonore. Les spectrogrammes qu’il analyse tout au long de cet ouvrage montrent comment des activités humaines de divers types perturbent les espaces d’expression des individus vivant dans des milieux de cohabitation interespèces : « En noyant les sons naturels complexes de la biophonie et de la géophonie7 sous notre bruit, nous perturbons ou détruisons la nature elle-même » (Krause, 2013 [2012] : 223). L’usage du mot « bruit » n’est pas anodin ici : les sons perturbateurs ne sont pas ceux que l’être humain ne distingue pas et que, ne connaissant pas, il a tendance à désigner comme relevant du bruit inaudible, mais bien les sons qu’il produit lui-même. Le premier témoignage que fait entendre Carneiro da Cunha concerne précisément cette ambiguïté entourant la notion de « bruit ». Dans cet enregistrement, Raimunda Gomes da Silva, militante, travailleuse de la terre et leader brésilienne, explique que « seuls ceux intéressés par l’histoire de la rivière peuvent percevoir sa magie. […] Les esprits de l’eau, ils sont comme le vent, tu ne peux pas les voir, mais tu peux les sentir8 » et, ajoutons-nous, tenter de les entendre. Lorsque l’on parle de technologies de résonance permettant de redonner à la nature son caractère de sphère de résonance, la question de la place de l’être humain se pose : est-ce lui qui entre en résonance avec la nature, ou est-ce la nature seule qui parvient à résonner à nouveau, car il lui laisse l’espace pour le faire? Les deux perspectives peuvent coexister, mais il faut noter que la seconde ne fait pas nécessairement intervenir le point de vue (ou d’écoute) humain, la nature pouvant résonner sans que des êtres humains soient présents. Si certaines technologies mettent la nature en danger, la font taire, il faudrait désormais renverser cette image négative en réinvestissant les technologies d’un potentiel artistique. Ce qui est mis en cause ici est un usage économique, voire lucratif des technologies, auquel est opposé un usage artistique. Cette dichotomie se retrouve au plateau dans l’affrontement entre bruits humains et sons de la rivière et de la forêt dans Altamira 2042, et dans une nette opposition entre silence et chants d’insectes dans Les grillons du rêve.
Dans le premier cas, cet « affrontement » sonore se fait par étapes. Nous l’avons dit, lorsque le public entre dans la pièce, il est rapidement baigné dans la géophonie et la biophonie – rivière, vent, singes, oiseaux, batraciens, insectes – caractéristiques des rives du Xingu. Cette symphonie extrêmement riche plonge l’audience dans une atmosphère à la fois intense et tranquillisante. Viennent progressivement des sons de tronçonneuses, symboles de la déforestation, puis divers bruits de construction faisant référence à la mise en place du barrage sur la rivière, ainsi que des sons de voitures, indices de la présence proche de la Transamazonienne, et de radio. Suivent des témoignages et des appels à se mobiliser contre le barrage, puis la fin du spectacle propose d’accomplir la fiction selon laquelle il serait détruit. Grâce à des marteaux et des burins fournis par la performeuse, des participant·es commencent à taper sur un morceau de béton, synecdoque du barrage. Ce bruit humain, faisant écho aux premiers sons perturbateurs entendus, permet ensuite à des musiques et des chants rituels de reprendre le dessus sur l’espace sonore et, éventuellement, de laisser place à la biophonie et à la géophonie. Cette structure quasi chiasmatique, qui ne s’achève pas non plus par un complet retour à la normale, offre une perspective réaliste et se présente comme une proposition : tâchons de détruire ce barrage et de remettre en place les cultures, coutumes et rituels autour du Rio Xingu, et alors, peut-être, la vie de la rivière et des forêts qui l’entourent pourra-t-elle à nouveau s’exprimer. Dans Les grillons du rêve, le récit du court-métrage se présente encore davantage comme une boucle : au départ, les grillons se taisent, ne laissant place qu'au silence, puis les artefacts de grillons font à nouveau entendre le chant des insectes auprès des êtres humains, avant de s’échapper dans la nature et de redevenir de véritables insectes. La perturbation humaine ne s’incarne pas dans des bruits de chantier ici, mais dans le silence, espace de privation sensorielle dans lequel aucun être vivant ne peut survivre longtemps (Krause, 2013 [2012] : 234). Le court-métrage fait ainsi le récit de la renaissance d’une richesse sonore dans un environnement tout aussi hostile à la vie que celui où se construit le barrage.
Dans les deux cas, cette richesse est incarnée par la diversité des sons émis par les enceintes. En effet, dans Altamira 2042, l’usage des clés USB permet à chaque enceinte de faire entendre un son ou un type de son différent (humain, non humain, musical, parlé, etc.). Les grillons du rêve témoigne de son côté d’une volonté claire de faire entendre l’individualité des différents insectes. Comme cela est expliqué dans la vidéo retraçant la création de l’installation, chaque enfant a pu enregistrer un grillon, et donc chaque grillon haut-parleur transmet un chant, un son ou un cri distinct, émis par un individu en particulier9.
Cette démarche se retrouve dans une installation similaire de Blume, Essaim10 (2021), qui nous place artificiellement sous un essaim d’abeilles.
À mesure que le public circule librement, entre et sous ces sons, l’oreille humaine, d’abord peu habituée, cesse progressivement de les entendre comme un bourdonnement confus pour y découvrir de très nombreuses particularités mélodiques et rythmiques. Avec ce dispositif, Blume attire notamment l’attention sur le fait que l’amenuisement de la diversité de ces sons devrait être, pour l’être humain, l’indice d’un changement écologique profond et d’une potentielle menace pour l’écosystème en général. Ainsi, en associant technologies sonores et enjeux environnementaux, ces deux créations mettent en avant les possibilités de réception et de transmission de sons émis par des enceintes, ainsi que leur faculté à recréer des univers sonores presque complets. Nous sommes ici au carrefour de la transmission d’un univers sensible réel et du développement d’imaginaires futuristes11. En effet, en plus de transmettre des sons du réel, enregistrés sur le terrain, les créations diffusent des sons et des récits porteurs d’hypothèses et d’imaginaires.
Des imaginaires futuristes et réalistes
Tout en étant ancrées dans des situations réelles, les deux créations développent en partie des fictions sur le futur : destruction du barrage de Belo Monte en 2042 d’un côté, et métamorphose des artefacts de grillons haut-parleurs en véritables grillons, revenus à la nature, de l’autre. Ces imaginaires sont centrés sur un futur que les artistes souhaitent autoréalisateur, puisqu’il·elles s’appuient aussi sur des situations réelles : depuis 2012, le barrage de Belo Monte, troisième plus grand barrage fluvial du monde, met en péril les vies autour de la rivière Xingu; l’artificialisation et l’exploitation des sols menacent le mode de vie d’espèces comme le grillon. Comment ces imaginaires, développés à partir de situations présentes et mettant en jeu la technologie, s’élaborent-ils? En quoi sont-ils générateurs d’espoir et de résonance?
Vers une technologie vectrice d’imaginaires
Dans l’introduction à son ouvrage Vivre avec le trouble (2020 [2016]), Haraway évoque deux postures possibles face au capitalocène et à l’anthropocène : soit imaginer que la technologie nous sauvera, telle une déesse bienveillante; soit succomber à un pessimisme total en prenant acte du fait que nous sommes allé·es trop loin pour revenir en arrière. Si cette deuxième position semble sensée pour Haraway, elle explique pourtant que la technologie n’est ni l’ennemie ni la sauveuse absolue et qu’il faut résister à la tentation de « succomber à quelque futurisme abstrait » (Haraway, 2020 [2016] : 12). En d’autres termes, la technologie peut être utile et nous aider à construire un futurisme plus concret et ancré dans le réel.
Comme dans certains récits de science-fiction, les technologies se font ici médiatrices de récits relevant du futurisme. Cela est particulièrement visible dans Les grillons du rêve, où la perspective science-fictionnelle est servie par un imaginaire autour des techniques scientifiques. En effet, dans ce court-métrage, on peut voir les enfants incarnant des scientifiques en train de créer les artefacts de grillons dans un laboratoire. La science est alors désignée comme la solution à la disparition des insectes. Ce passage assez comique renvoie au fait de se mettre « à la recherche d’histoires vraies qui soient à la fois des fabulations spéculatives et des spéculations réalistes » (ibid. : 21-22). C’est ce que Haraway nomme des « jeux de ficelle » (ibid. : 21), c’est-à-dire des histoires qui créent des liens par le biais d’une réception-transmission. Les différents exemples qu’elle donne dans Vivre avec le trouble apparaissent comme autant de formes de médiation entre les espèces et les êtres. Elle évoque notamment le cas de la Black Mesa, qui fait écho au barrage de Belo Monte (ibid. : 137; 142-147). Depuis 1968, le bassin de la Black Mesa, en Arizona – un lac du pléistocène qui est depuis devenu un gisement de charbon – était exploité par les États-Unis. Les ressources étaient transportées par minéroduc jusqu’à une centrale thermique dans le Nevada. Cette exploitation a été stoppée en 2005 grâce à l’action combinée de populations autochtones et d’écologistes. À l’image de ce type de récit d’actions conjointes, Altamira 2042 nous met sur la voie d’une sorte de prophétie autoréalisatrice. Prenant également modèle sur l’effondrement du mur de Berlin, événement difficile à prévoir d’un point de vue extérieur, comme le rappelle une des voix entendues durant la performance, le spectacle développe l’espoir d’une destruction à venir du barrage de Belo Monte. En 2042, sensibilisé aux problèmes posés par ce barrage et porté par un élan militant, un groupe pourrait décider de le détruire. Sur scène, les personnes qui le composent, issues du public, sont bien moins nombreuses que les forces réellement nécessaires pour une telle action, mais le mouvement est susceptible de prendre de l’ampleur si ces récits déploient pleinement leurs potentialités. Ces modes de récit renvoient à ce que Freychet propose d’appeler l’« écoute fictionnelle » :
Passer par une fiction permet d’ouvrir notre écoute, de nous conduire vers d’autres manières d’écouter, en travaillant activement notre rapport au temps et à l’espace. En ce sens, la fiction modifie nos dispositions d’écoute. Ce faisant, elle change effectivement notre écoute. Elle n’est pas uniquement en dehors de la réalité : elle peut venir prendre part à la manière dont nous construisons notre rapport au réel (qui ne se réduit pas à la production de pensées subjectives). C’est en ce sens qu’une telle écoute peut revêtir un rôle écologique, en insistant sur le lien qui existe entre les choses; et en rappelant l’agentivité et l’affectivité des êtres non humains (Freychet, 2022 : 57).
L’« écoute fictionnelle » permet de nous décentrer, mais aussi d’orienter notre perception du spectacle. Ainsi, avant de faire entendre des témoignages sur la situation actuelle, Carneiro da Cunha choisit de diffuser le récit oral d’un mythe relatant l’existence de deux serpents femelles vivant près de la rivière, vers Belo Monte12. Ce mythe explique pourquoi cet endroit serait maudit et comment, par le biais d’une nouvelle naissance, la malédiction pourrait être rompue, laissant la rivière à nouveau libre de circuler. Le spectacle établit un pont entre les croyances et les mythes développés par les peuples autochtones13 pour produire du sens avec leur environnement, et un récit futuriste que la performeuse raconte avec ses propres moyens. Dans chaque spectacle, on remarque toujours une intervention humaine éclairée dans les histoires à venir : les enfants-scientifiques créent des grillons, puis les laissent revenir à la nature; le public et la performeuse détruisent métaphoriquement le barrage pour tenter de redonner vie à la rivière. Les fictions racontées s’ancrent dans notre rapport au réel et le modifient en retour.
Investir les technologies du présent d’une force subversive
Les deux spectacles prennent en charge les technologies sans reconduire un rapport naïf ou idéaliste à l’écologie : elles deviennent des outils du présent pour porter les enjeux climatiques sur les scènes artistiques. Carneiro da Cunha l’exprime clairement lorsqu’elle fait apparaître à l’écran que les technologies dont disposent les « aliendigènes » dans leur combat contre les « progressistes14 » sont les suivantes : le chant, la danse et les rêves. Autrement dit, elle met en avant une conception élargie de la technologie. Elle explique d’ailleurs que les savoirs des peuples locaux concernant la reconnaissance des espèces qui les entourent, les rituels chamaniques et les médecines autour de la rivière relèvent de techniques extrêmement pointues. Étant donné que ce ne sont pas des techniques qui lui sont complètement familières, elle fait le choix de se tourner vers celles qu’elle maîtrise, à savoir l’enregistrement, la diffusion de sons et d’images et, bien sûr, le chant, la danse et les rêves. In fine, l’usage des technologies sonores doit nous permettre d’imaginer de nouveaux modes d’attention à la nature et de renouer, par nos moyens modernes, avec l’écoute envisagée comme une technique, à la fois ancestrale et sophistiquée. Distinguons ici les termes « technologie », appliqué aux civilisations (post)industrielles, et « technique », employé pour les cultures qui ne se définissent pas complètement dans ce rapport à l’industrie ou au numérique. Les techniques autochtones, ancrées dans une forme de savoir spirituel ou empirique, sont intrinsèquement liées à l’environnement naturel dans lequel elles sont utilisées, tandis que les technologies sonores produisent des liens artificiels avec l’environnement naturel. Ces deux technologies, bien que n’étant pas sur le même plan, sont rapprochées dans la pièce par le biais de leur aspiration commune à renouveler et affirmer le lien à l’écosystème. Comme l’écrit Abram, « nous ne sommes humains qu’en contact et en convivialité avec ce qui n’est pas humain. Cette idée […] implique que nous devons rétablir des relations avec le monde sensuel où s’enracinent toutes nos techniques et technologies » (Abram, 2020 [1996] : 8).
Dans Quand les montagnes dansent : récits de la Terre intime (2023), Olivier Remaud développe sur de nombreuses pages l’idée selon laquelle nous ne pouvons pas nous contenter de dialoguer avec la nature selon notre mode humain de discours et avec notre langage. Sans anthropomorphiser la nature ni prétendre parler son langage, il explique qu’il faut apprendre à percevoir et à accepter les signes qu’envoient les éléments du milieu où l’on se trouve. Cela le conduit à remettre en cause la notion de dialogue, qui lui semble anthropocentrée, et à chercher des manières de résonner et de raisonner avec la nature qui ne soient pas de l’ordre d’une communication au sens humain du terme (Remaud, 2023 : 160-161). Remaud trouve une possible voie parallèle dans les réflexions sur l’animisme développées par Abram. Tout comme Eduardo Viveiros de Castro (2009), ce dernier défend une perception de la rationalité moderne alimentée par l’animisme, entendu comme une appréhension élargie de la notion de communication. Remaud explique ainsi que « l’animisme décrit un monde d’interactions, il organise des situations de mutualité interspécifiques. […] Il n’est pas autre chose qu’une écologie, un savoir des relations entre humains et non-humains. Dans les mondes sauvages, on est toujours en présence de quelqu’un d’autre que nous, même quand on ne le voit pas » (ibid. : 162). Cette ouverture sur l’animisme, et plus généralement sur des croyances autour de cosmologies naturelles, permet de comprendre les liens établis par les entités impliquées dans une relation de résonance. Les environnements naturels transmettent des messages, notamment sonores, mais ils ne le font pas pour quelqu’un ou quelque chose. Si le travail d’interprétation est humain, il n’est pas directement impliqué ou prévu par les environnements naturels, d’où la nécessité de travailler notre écoute. Ce mode de résonance proposé par l’animisme fait écho à la mise en valeur de la rivière dans Altamira 2042 et, plus généralement, dans l’ensemble du Riverbank Project développé par Carneiro da Cunha. Dans la première pièce conçue dans ce cadre, elle retraçait l’histoire de femmes disparues lors d’une guérilla autour de la rivière Araguaia dans les années 1970. Celle-ci opposait des membres du parti communiste, associé·es à des paysan·nes locaux·ales, à la dictature militaire brésilienne arrivée au pouvoir par un putsch en 1964. Les rivières et les luttes des femmes pour leur préservation se présentent comme le fil rouge de ce projet. La rivière n’est pas pour autant le thème du spectacle; elle est un langage qu’il faut tâcher d’entendre et de comprendre. C’est ici que les technologies sonores entrent en jeu, proposant un mode de transmission proche des croyances animistes et sans cesse ancré dans des préoccupations concrètes et actuelles. En effet, nous l’avons vu, l’enregistreur se présente comme une sorte de médiateur sonore entre les voix de la rivière et la performeuse. Grâce à l’enregistreur et aux enceintes, qui assurent la captation, le montage et la diffusion de sons variés – témoignages verbaux et sons non humains –, les technologies sonores instaurent des formes de liens et de dialogues qui ne relèvent pas nécessairement de la communication humaine.
Les éléments naturels émettent en continu, mais des transformations récentes, notamment instituées durant l’anthropocène, empêchent qu’on les entende. Certaines technologies, elles aussi sonores, voire bruyantes, ont conduit à l’amenuisement de l’environnement sonore naturel. Au Brésil, la cible est claire : c’est le barrage construit sur la rivière Xingu dans le cadre du Programme d’Accélération de la Croissance. Dans Les grillons du rêve, ce sont plus généralement toutes les technologies humaines, sonores mais aussi lumineuses, qui sont vectrices de pollution et qui conduisent à la réduction de l’espace d’expression sonore de diverses espèces. Dans Le grand orchestre animal, Bernie Krause évoque la question du son produit par les grillons en rappelant les recherches menées par Chris Watson, musicien et enregistreur sonore pour la British Broadcasting Corporation. Pour une émission où il se questionnait sur ce que les personnes percevaient comme étant un son calme ou apaisant, il a découvert que certains sons avaient une vertu tranquillisante :
Son enquête auprès des médecins généralistes et des psychologues confirma que certains sons, tels ceux produits par la respiration, les battements du cœur, les pas, le clapotis des vagues, le murmure des ruisseaux, le chant des oiseaux ou des grillons, étaient généralement qualifiés d’apaisants. Des chercheurs ont montré que de tels sons stimulent le système limbique du cerveau, d’où s’ensuit [sic] la libération d’endorphines et un sentiment de sérénité (Krause, 2013 [2012] : 236).
En intégrant le chant des grillons dans une histoire où il invite les habitant·es à rêver, Blume choisit un insecte dont les sons peuvent être non seulement familiers, mais aussi perçus comme anodins, voire quotidiens par ceux·celles qui partagent ou fréquentent ses habitats – à savoir les terrains secs, ensoleillés et peu végétalisés où il creuse ses terriers (en Europe). Mais ici, ce son est réinvesti de son potentiel apaisant, quasi thérapeutique. Comme dans Essaim, l’installation nous suggère ainsi d’écouter plus attentivement ce qui nous entoure, y compris notre environnement le plus proche.
Les propositions imaginées par les spectacles n’ont pas vocation à préserver la nature ni à la surprotéger, mais bien à tenter de transmettre son langage propre. Les technologies, associées à des formes de matérialité, voire considérées comme des extensions du corps dans Altamira 2042, peuvent renvoyer au « corps-archive » dans la mesure où
la notion de corps comme archive apparaît au carrefour des disciplines des arts visuels, de la performance, du théâtre, de la danse et de la musique. […] La mission de conserver ne se comprendra pas en premier lieu comme une mission de préservation, mais comme la tentative de maintenir quelque chose de vivant. Les notions de fidélité, de conservation et d’originalité se trouvent compromises par une pratique de la rencontre et de la relation (Bonfim, 2018 : 29).
Cette notion de « corps-archive », que Carolina Bonfim définit à partir de ses pratiques de danseuse, nous semble pouvoir être étendue aux deux créations. En effet, c’est aussi par l’investissement du corps, tant pour les personnes qui transmettent leur mémoire, leurs coutumes et leurs pratiques, que pour celles qui les reçoivent, que se crée un espace sensible partagé au sein des œuvres. L’archive sonore ainsi constituée est vivante, en mouvement, mais aussi en suspens, dans l’attente d’un renouvellement de la transmission. Les spectacles ne proposent pas d’établir une banque de sons pouvant servir à l’étude scientifique d’un milieu, ni uniquement de préserver des sons en voie de disparition. Ils se présentent plutôt comme des témoignages d’espaces en mouvement dont les sons sont eux-mêmes amenés à évoluer, selon les performances et les publics qui les reçoivent. C’est en ce sens qu’une archive sonore se constituera en collectivité, tant au moment de la prise de son, et donc de la création (notamment en collaboration avec les enfants et avec les populations autochtones et les militant·es), que lors de leur diffusion et de leur partage.
Des rituels en partage
Dans les deux créations, si des passages donnent la parole à des entités humaines et non humaines, l’ambition est surtout de former l’oreille, de transformer les individus en écoutants. En mettant en lumière leur processus de création, voire en proposant de renouveler un rituel au sein du spectacle, ces œuvres réalisent, dans leur diffusion, la logique de réception et de transmission scéniquement matérialisée par les enceintes. Ce faisant, en plus de développer une écoute commune et attentive, elles ouvrent sur une pratique artistique au contact d’écosystèmes qui ne sont pas figés.
Pratiques du territoire et jeu d’échelle
Blume a travaillé avec les enfants du centre culturel Cecrea, un espace au cœur de la ville et de ses différents secteurs : résidentiel, historique et économique. De son côté, Carneiro da Cunha porte la parole des peuples autochtones vivant sur les bords de la rivière Xingu. Elle signe même la réalisation de son nom et de celui de la rivière, comme en témoigne le texte de présentation. Pour la création d’Altamira 2042, elle s’est rendue dans l’État du Pará, où elle a assisté à des rituels et recueilli des coutumes et des savoirs qu’elle ne connaissait pas, comme beaucoup d’Européen·nes et même de Brésilien·nes. Elle propose alors de partager le privilège qu’elle a eu de voir et d’entendre les voix de la rivière en faisant découvrir à son peuple les richesses qui habitent des lieux jouxtant des espaces fortement industrialisés, à l’image de la ville d’Altamira et de ses environs. Ainsi, durant le spectacle, on peut voir des images d’un enfant, un casque audio sur les oreilles, découvrant sans doute de manière amplifiée les sons qui l’entourent, et exprimant successivement le plaisir, la surprise et l’inquiétude. En cherchant d’abord à « infuser » des pratiques dans les lieux où elles prennent place, les deux créations mettent, dans une certaine mesure, en œuvre le concept de « bio-région » (Métais-Chastanier, 2023 : 43) que Barbara Métais-Chastanier développe dans son article « eXplore eXpand eXploit & eXterminate : vers un théâtre des milieux ». Ce concept invite à repenser écologiquement les lieux de vie, à les envisager à la croisée de diverses réalités, humaines et non humaines, géographiques, culturelles et symboliques. Il fait référence à des créations qui chercheraient à habiter un territoire et à s’en imprégner, plutôt qu’à diffuser sur ce dernier sans prendre en compte ses spécificités. Toutefois, nous touchons ici à un paradoxe, puisque notre argumentaire se fonde sur le fait que ces spectacles apportent une forme d’altérité par le biais de la technologie en choisissant une diffusion à l’étranger, en l’occurrence dans des espaces francophones. L’idée de « bio-région » mérite d’être étendue dans la mesure où les deux créations émanent de logiques de partage entre les habitant·es d’un territoire, les artistes et les publics qui se situent ailleurs dans le monde. Le témoignage des riverain·es sont au cœur d’Altamira 2042, de sa création et de sa compréhension. En plus de proposer une écoute fictionnelle, comme nous l’avons vu plus haut, le spectacle développe progressivement une écoute historique et politique au sens où, grâce aux témoignages sonores, il nous permet de plonger « dans un autre rapport au lieu, qui n’est pas directement audible » (Freychet, 2022 : 58-59). Ces témoignages sont variés : paroles de Raimunda Gomes da Silva, d’hommes vivant au bord du Rio Xingu (notamment des pêcheurs), et d’autres personnes encore. Ces témoignages construisent une fresque vocale de la rivière et donnent à entendre des avis contrastés sur l’avenir du Xingu : pour certain·es, la rivière est morte; pour d’autres, l’espoir est encore permis, à condition de lui redonner sa liberté. La performeuse fait de ce partage un rituel. Couronnée de haut-parleurs, puis du vidéoprojecteur, elle devient la porte-parole de ces voix lointaines et souvent réduites au silence par les pouvoirs en place, qui encouragent la déforestation et l’exploitation de nombreuses zones d’Amazonie. Elle tente de partager la spiritualité toujours active dans ces zones, portée en particulier par les femmes. L’impression d’assister à une cérémonie est renforcée par la stimulation de nos autres sens, notamment la vue et l'odorat : les enceintes lumineuses, assemblées en colonnes, font figure de totems; la performeuse utilise une bougie lorsqu’elle se déplace à certains moments du spectacle; et, juste avant d’apporter le morceau de béton à réduire en poussière, elle allume des bâtons d’encens dont l’odeur se diffuse dans toute la salle. La tenue portée par Gabriela Carneiro da Cunha n’est pas sans rappeler la série sur le corps de Goran Vejvoda, que l’on retrouve dans Autumn Leaves: Sound and the Environment in Artistic Practice et qui représente des corps humains avec un haut-parleur en guise de tête (Vejvoda, 2007 : 25-27).
En envisageant ces photographies comme des réflexions sur notre émission et notre perception du son, on peut concevoir l’être humain comme un possible récepteur-transmetteur de son, à l’image d’une enceinte. Carneiro da Cunha, pour sa part, devient une femme haut-parleur chargée d’augmenter l’intensité sonore de certaines réalités et pratiques. Cela fait paradoxalement écho à ce que Joanna Macy explique à propos des interactions au sein d’un même environnement :
Puisque les formes de vie évoluent en intelligence, elles perdent leur armure et rejoignent l’extérieur pour interagir toujours plus avec l’environnement. Elles développent des excroissances vulnérables et sensibles – oreilles, nez, yeux, lèvres, langue, bout des doigts – pour mieux sentir et répondre, mieux se connecter au réseau et tisser davantage de liens (Macy, 2016 [1995] : 178).
Dans Altamira 2042, ce sont précisément les enceintes et même les micros et les différents objets sonores en jeu qui constituent ces excroissances sensibles. Tout en faisant visuellement figure d’armure (ou ici de casque), les technologies sonores permettent de tisser des liens et de se connecter.
La voix de la rivière et le chant des grillons permettent d’aller au-delà de la question des langages et de mettre le son et la musicalité au cœur du partage des expériences. Si Altamira 2042 se joue en brésilien et donne à entendre des chants autochtones, la musique collectivement créée à la fin devient un langage commun, capable de transcender d’éventuelles barrières linguistiques. En effet, la performeuse distribue divers instruments très simples à utiliser (principalement des percussions) à plusieurs personnes dans le public, afin que celles-ci accompagnent les sons qui sortent des enceintes et le rythme répétitif des marteaux brisant le morceau de béton. Progressivement, la musique jouée sur scène s’estompe, tandis que la performeuse éteint une à une les enceintes, ne laissant finalement que le son d’une flûte, qui achève à son tour sa partition. C’est donc par cette musique chorale que se transmet aussi le rituel d’écoute. Évoquant la création Théâtre (2015) de Marcus Borja, Alexis Cauvin analyse, dans Scènes en partage : l’être ensemble dans les arts performatifs, le pouvoir du chant dans des spectacles interrogeant l’idée de communauté :
Si les chants forment un mode de communication « démocratique » à l’image de [Théâtre] dans son ensemble, c’est qu’ils ne semblent pas nécessiter de compétences culturelles préalables de la part du spectateur pour être reçus par lui. Ils fabriquent à la fois des formes esthétiques […] et des interstices destinés à accueillir les projections individuelles des spectateurs. Les chants forment des paysages, ils créent une cartographie interactive. […] Ces paysages sont des évocations, ils sont volontairement ouverts, incomplets, ils offrent un espace, un temps à investir (Cauvin, 2018 : 213-214).
Tout comme la musique se présente, dans Altamira 2042, comme un « temps à investir », l’espace des Grillons du rêve constitue un lieu ouvert à plusieurs dimensions – avec la vidéo racontant la fable, l’installation de criquets et d’éléments sur la création du spectacle –, laissant le public parcourir cette installation comme il le souhaite. Dans les deux cas, les formes de rituel proposées s’incarnent aussi dans cette incomplétude, dans cette liberté de perception et de participation.
Toutefois, dans Altamira 2042, cette ouverture est aussi guidée par la présence centrale de la performeuse. Nous l’avons vu, Carneiro da Cunha est au cœur du rituel de transmission et de l’aspect politique que le spectacle revêt. Bien qu’elle affirme ne posséder ni les savoirs ni les outils du chamane, son rôle dans le spectacle la place à mi-chemin entre chamane et guerrière, ce qui renvoie aux parallèles qu’établit Viveiros de Castro entre ces deux fonctions : « la fonction du chamane n’est pas essentiellement différente de la fonction du guerrier. Toutes deux sont des commutateurs ou des conducteurs de perspectives; le premier opère dans la zone interspécifique, le second dans la zone interhumaine ou intersociétaire » (Viveiros de Castro, 2009 : 121). Durant le spectacle, une image est projetée où elle est montrée de dos, nue, en train d’enregistrer au casque les sons de la rivière, comme si elle devait assumer une forme d’humilité et de vulnérabilité face à l’immensité du Rio Xingu et à la diversité de son paysage sonore. La nudité qu’elle choisit également durant la majorité de la performance transforme cette vulnérabilité – symbole de sa méconnaissance initiale des lieux – en force, par le biais des enceintes qu’elle porte sur son corps à la fois comme tenue rituelle et comme armure. Armée d’une machette, mais aussi de ses instruments technologiques, elle est une figure à la croisée des mondes et des voix. Dès la première diffusion des paroles de Gomes da Silva, on comprend que les croyances entourant la rivière sont essentiellement l’œuvre des femmes, qui sont aussi les protectrices de cet espace : « Si je meurs assassinée, ça ne me pose pas de problème, tu sais pourquoi? Parce que s’ils me tuent alors que je défends les bois, la forêt, je reste les bois, je reste la forêt. Je vais renaître dans la tête de quelqu’un d’autre, dans l’esprit de quelqu’un d’autre, je ne vais pas mourir ». La performeuse se fait guerrière spirituelle tout en assumant pleinement la violence concrète inhérente au territoire dont elle traite. En effet, de nombreux témoignages font référence au fait qu’une guerre est à l’œuvre entre les populations autochtones et les autorités brésiliennes. Il s’agit donc d’embrasser cette lutte en cours et à venir et de redonner une intensité sonore et visuelle à sa dimension féminine et féministe. Comme le rappelle Hache dans l’introduction de Reclaim : recueil de textes écoféministes, les premiers textes écoféministes apparus dans les années 1980 ont trouvé leur origine dans des récits de luttes militantes, principalement menées par des femmes soucieuses de défendre la terre, la paix et les conditions de vie des générations futures :
[L’écoféminisme] rend aux femmes le droit d’être fortes, puissantes et même dangereuses. C’est à l’intérieur de cercles – non hiérarchiques, qui relient les personnes comme les problèmes entre eux, qui créent un espace bienveillant et sûr (safe) – qu’elles forment, au cours de ces mobilisations avec toutes celles qui le souhaitent, que les écoféministes néopaïennes font « monter le pouvoir » qui n’appartient à personne, en nommant et transformant leurs peurs individuelles en problème commun, politique; en nommant ce qui les rend puissantes; en chantant ensemble dans des danses spirales (Hache, 2016 : 39-40).
La performance de Carneiro da Cunha nous offre cette possibilité de lutter en commun au sein du rituel sonore et musical qu’elle propose, mais aussi de poursuivre la lutte au-delà, après nous avoir fait prendre conscience que ce n’est pas parce que les enjeux nous dépassent que nous devons rester impuissant·es. Cela s’illustre également au début du spectacle, lorsque la performeuse demande à une petite dizaine de femmes d’entrer en premier dans la salle afin de faire d’elles des relais privilégiés pendant la représentation (lors des moments d’échange et de partage collectifs, notamment). On retrouve ici la logique d’une circulation moins verticale ou linéaire que tentaculaire, opérant à l’intérieur même du groupe, progressivement appelé à se constituer non plus seulement en groupe « en soi » (le public) mais aussi en groupe « pour soi » (militantes et militants).
Des spectacles à poursuivre
Dans Les grillons du rêve, les parties de l’installation consacrées aux processus de création du spectacle (dessins de grillons et making of) mettent en avant les ateliers et les échanges avec les enfants du centre culturel de la Ligua. Le processus est aussi important que le produit fini. Il y a comme une invitation à recréer ce genre d’ateliers destinés aux enfants, qui peuvent ensuite toucher un public plus âgé. L’installation n’est pas le but en soi : elle est une sorte de rendu d’étape, une présentation de ce que peut produire un atelier autour d’enregistrements sonores. Apparaît ici la dimension pédagogique du son, non dans la façon dont il transmet des informations, mais dans les pratiques qui l’entourent.
Schéma de Juliette Meulle.
Dans Altamira 2042, l’ouverture du spectacle est moins pédagogique que militante. À la toute fin de la performance présentée en 2023 au Centre Pompidou, un message apparaît à l’écran, demandant au président Luiz Inácio Lula da Silva, élu en janvier 2023, de ne pas renouveler le permis d’exploitation accordé à la société Belo Monte15. Cet appel, visant les politiques brésiliennes et montré dans la diffusion française de la performance, témoigne d’une nécessité de sensibiliser le public européen aux enjeux politiques posés par l’environnement de l’autre côté de l’Atlantique. Si les décisions qui doivent être prises sont en partie restreintes à un cadre national, la protection de l’Amazonie, en tant que « poumon du monde », est un enjeu qui dépasse les strictes frontières de l’Amérique du Sud. La seconde ouverture du spectacle est d’ailleurs marquée par la distribution du manifeste « Amazonie centre du monde16 », dont voici quelques extraits :
Face à la catastrophe en cours, nous, mouvements sociaux et société organisée, peuples indigènes, populations riveraines des fleuves et quilombolas, scientifiques et militants climatiques du Brésil et du monde, avons franchi murs et barrières afin d’unir nos voix en défense d’un objectif commun : sauver la forêt et lutter contre l’extinction des vies sur la planète. […]
La majorité ne peut compter que sur des barques en papier, seule une minorité dispose de paquebots. Ceux qui ont provoqué la crise climatique seront les moins affectés par celle-ci. Ceux et celles qui ne l’ont pas provoquée commencent déjà à en souffrir. Ils et elles en subiront le plus fortement les impacts et ce seront les premiers à être gravement atteints. Ils et elles en souffrent déjà. Nous inverserons ce qui aujourd’hui est centre et ce qui est périphérie. Nous regrouperons communautés urbaines et communautés de la forêt afin qu’elles occupent la position qui leur revient : le centre. […]
Nous sommes aussi ceux et celles qui respectent tous les êtres, humains et non-humains [sic]. Ceux et celles qui veulent vivre et faire vivre. Nous sommes aussi ceux et celles qui savent qu’il n’y a pas de dedans ni de dehors. Nous résidons tous et toutes dans l’unique maison dont nous disposons. Nous sommes ceux et celles qui désirent garantir un avenir, y compris aux enfants de ceux qui tentent de nous détruire (Harari, 2019).
Ce récit d’une communauté à fonder et à rassembler se présente comme un « jeu de ficelles » au sens d’Haraway, jeu rendu visible dans la deuxième partie du spectacle lorsque la performeuse tire deux longs fils lumineux de part et d’autre de la scène, comme pour relier le public. Ces fils renvoient métaphoriquement aux racines d’un arbre, mais aussi aux ramifications de la rivière, et par leur caractère fabriqué, voire science-fictionnel (il s’agit de tubes en plastique, en partie lumineux), ils reconduisent l’espoir d’une alliance future et d’un imaginaire à construire conjointement. Ces éléments d’ouverture constituent le prolongement d’un ensemble d’appels politiques disséminés dans la performance elle-même. En effet, la question des choix et des positions du public est posée à de nombreuses reprises : en tant que spectateur·trices, nous devons décider dans quel camp nous nous situons. Pour les personnes vivant de près les catastrophes en Amazonie, l’enjeu est de trouver des allié·es au-delà des frontières. L’idée que, sur place, se joue une guerre culturelle, territoriale et symbolique transparaît à travers des mots-clés affichés par la performeuse : « aliendigènes », « amazoniser le monde ». Le besoin de s’exprimer et de choisir un camp pour poursuivre la lutte apparaît comme une nécessité politique, et non seulement esthétique. Dans un entretien consacré à la création de son spectacle en 2023, Carneiro da Cunha souligne l’importance qu’a eue Gomes da Silva dans la conception et la réalisation du projet. La militante lui a permis de changer son mode d’écoute et de transmission :
[Raimunda Gomes da Silva] prend l’exemple du temps en spirale, dans lequel coexistent l’inachèvement et la transmutation. Elle désigne par là le fait que toute chose est en mouvement, inachevée, de manière infinie : une temporalité où tout est toujours possible. Ce travail a d’abord été imaginé comme un projet de recherche qui allait être consacré à l’écoute des témoignages des personnes qui vivent au bord de ces eaux, mais aussi en marge de certains processus et phénomènes historiques, sociaux et économiques. Aujourd’hui, cette recherche se consacre à l’écoute du témoignage des rivières elles-mêmes entrées dans une ère d’extinction. Réorienter mon intérêt vers des témoignages d’êtres non-humains [sic] a été un changement radical dans mon travail : ouvrir la possibilité d’écouter le témoignage d’êtres non-humains [sic] ouvre la possibilité d’écouter des voix et des langues jusqu’ici ignorées par le vocabulaire colonial (Carneiro da Cunha, citée dans Le Personnic, 2023).
Ainsi, que le spectacle assume ou non un but politique, le politique se loge davantage dans l’après-spectacle, dans le monde réel où les véritables décisions sont prises. Les deux créations réaffirment ainsi leur force en tant que réservoirs d’imaginaires symboliques et politiques. Il semble que cela caractérise les manières dont les sons sont utilisés et éventuellement performés : en nous mettant à l’écoute des environnements dans lesquels nous évoluons, nous pouvons aussi capter d’autres voix et d’autres langues.
Amplifier l’écoute pour tisser de nouvelles connexions au vivant
Centrées sur le territoire chilien et ses cours d’eau, les œuvres Río Baker (2011) et El sonido recobrado (2013) de Graciela Muñoz font écho aux deux créations étudiées. La première rend compte des luttes autour de la construction de barrages sur le Río Baker dans la Patagonie chilienne. Équipée de deux microphones reproduisant la perception des sons par des oreilles humaines, Muñoz enregistre la rivière à cinq endroits différents. En 2013, ces relevés audio débouchent sur un second projet. Ayant assisté à l’assèchement de la rivière proche du lieu où elle a grandi, le Río Petorca au nord de Santiago, l’artiste décide de raviver la mémoire de ce cours d’eau par le biais des enregistrements du Río Baker diffusés par vingt-huit enceintes placées dans le lit asséché du Río Petorca (Nieto et al., 2018; Freychet, 2022 : 168-172). Mises au cœur de la scénographie et du dispositif, les technologies audio permettent ainsi la sonorisation de phénomènes « lointains », inaudibles, invisibles ou oubliés, sensibilisant le public à une altérité victime des dérèglements climatiques. L’écoute est donc au cœur du partage de ces enjeux : c’est par elle que s’établit une relation à la fois pragmatique et imaginaire à notre environnement. Comme l’explique Krause, l’enregistrement peut nous amener non seulement à une écoute fine, mais aussi à une position d’humilité face à la richesse des sons qui nous entourent :
En général, les éléments du monde naturel ne se laissent pas approcher ni ne se livrent aussi vite [que les informations que nous livrent nos technologies du quotidien]. Ils se révèlent dans leur durée propre, très différente. Pour réduire cette disparité, peut-être pouvons-nous trouver le moyen d’exploiter ces technologies – tout smartphone est aussi un magnétophone – afin que leurs adeptes, jeunes et moins jeunes, renouent avec leurs racines (Krause, 2013 [2012] : 242).
En renversant l’image que l’on a de la technologie comme accélératrice des bouleversements climatiques et en faisant de celle-ci un outil générateur d’imaginaires et d’hypothèses sur le futur, les créations à l’étude montrent que son usage peut aussi permettre de nous reconnecter tout en affinant notre posture sensible d’écoute et de partage. Cette posture permet d’instaurer un rapport plus humble aux environnements naturels, qui ne soit ni du côté du fatalisme ni du côté d’une surprotection susceptible de reconduire la place surplombante de l’être humain. En invitant à une plongée dans des univers où les repères spatio-temporels sont redéfinis, les technologies sonores se présentent comme des modèles pour repenser notre rapport à notre environnement.
Couverture : Hautes herbes. Avignon (France), 2023. Photographie de Juliette Meulle.
Bibliographie
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VOEGELIN, Salomé (2021 [2014]), Sonic Possible Worlds: Hearing the Continuum of Sound, Londres, Bloomsbury.
- 1. « A sonic sensibility reveals the invisible mobility below the surface of a visual world and challenges its certain position, not to show a better place but to reveal what this world is made of, to question its singular actuality and to hear other possibilities that are probable too, but which, for reasons of ideology, power and coincidence dot not take equal part in the production of knowledge, reality, value and truth » (Voegelin, 2021 [2014] : 3). Toutes les citations en anglais de cet article ont été traduites par nos soins.
- 2. « Ce sont d’abord nos corps qui ont besoin de s’adapter, de s’ajuster à un espace, à une pesanteur oubliés, mais donc aussi de fabriquer de nouveaux équipements comme de nouveaux attachements. Or, nous ne disposons peut-être plus pour cela des bonnes métaphores, des bonnes histoires comme des bons concepts pour accompagner ces nouveaux embranchements » (Hache, 2014 : 13).
- 3. Altamira 2042, performance de Gabriela Carneiro da Cunha créée au Brésil en 2019 et vue au Centre Pompidou en 2023 : www.festival-automne.com/edition-2021/gabriela-carneiro-da-cunha-altamira-2042
- 4. Los grillos del sueño (Les grillons du rêve), installation de Félix Blume créée avec les enfants du centre culturel Cecrea de La Ligua en 2019 et vue en 2023 à l’occasion du festival Sonic Protest à l’ancienne brasserie Bouchoule (Montreuil) : felixblume.com/grillos/?lang=fr
- 5. Cette expression peut faire référence à l’expression « monde plus-qu’humain » (Abram, 2020 [1996]) utilisée par David Abram dans The Spell of the Sensuous (publié en 1996, puis en 2013 pour la première édition française).
- 6. « What other sonorous, beautiful or sublime characteristics of the world are there, with us in everyday experience that we typically overlook or pay no attention to? »
- 7. La géophonie désigne les sons produits par les éléments naturels considérés comme inanimés ou non vivants (roches, vent, neige, etc.) tandis que la biophonie renvoie aux sons émis par le vivant non humain en général.
- 8. Toutes les citations des pièces sont issues de retranscriptions personnelles.
- 9. Notons que, comme chez beaucoup d’espèces qui produisent de telles sonorités, la stridulation est, chez les grillons, uniquement émise par les mâles qui frottent leurs deux élytres (ailes antérieures assez rigides protégeant les ailes postérieures).
- 10. Les sons ainsi que la description de cette installation sont disponibles sur la page de Félix Blume : felixblume.com/essaim/?lang=fr
- 11. Nous utilisons ce terme au sens premier, sans référence au mouvement artistique du début du XXe siècle.
- 12. Il s’agirait d’une des nombreuses variantes du mythe de Cobra Honorato, assez répandu en Amazonie brésilienne. Voir Émilie Stoll (2016).
- 13. « La quantité d’eau ne passera ainsi plus par le Volta Grande, une portion du Rio Xingu de près de cent kilomètres qui traverse deux Territoires indigènes, Arara da Volta Grande et Paquiçamba, qui appartiennent aux peuples Arara et Juruna » (Harari, 2016). Les travaux liés au barrage de Belo Monte touchent de nombreux peuples autochtones vivant sur les rives du fleuve dans des territoires qui ne sont pas forcément reconnus par l’État brésilien. En effet, si les terres Paquiçamba et Arara sont reconnues, le territoire de la communauté de São Francisco, où vivent les Juruna, est quant à lui souvent oublié. Voir www.cdhal.org/le-peuple-autochtone-juruna-menace-par-des-megaprojets-en-amazonie/
- 14. Ces deux termes sont ceux utilisés par l’artiste.
- 15. Nous précisons que ce message figurait dans la version de 2023, puisque dans la captation de 2019 à laquelle nous avons eu accès, cet appel n’avait pas lieu d’être, Jair Bolsonaro étant encore président.
- 16. Le texte et la liste de ses signataires sont disponibles à l’adresse suivante : www.autresbresils.net/MANIFESTE-AMAZONIE-AU-CENTRE-DU-MONDE. Ce texte est inspiré du récit d’Eliane Brum, Banzeiro Òkòtó : Amazonie, le centre du monde (2024 [2021]).