Paysage(s) en commun ou que fait le théâtre au paysage?

 

« Théâtre-paysage », « théâtre de paysage », « théâtre et paysage », « scène-paysage »… ces appellations, récemment apparues dans les notes d’intention et les programmes des théâtres francophones, témoignent d’un intérêt croissant de la part des artistes ou des institutions pour le paysage. L’attention médiatique enthousiaste portée à Paysages partagés (2023), créé par Caroline Barneaud et Stefan Kaegi, et Que ma joie demeure (2023), mis en scène par Clara Hédouin, célébrés comme deux productions événements de la 77e édition du Festival d’Avignon, en est un autre signe. À en croire les recensions, ces productions incarneraient exemplairement l’aspiration des artistes à renouer des liens avec le vivant, et dénoteraient une pratique théâtrale infléchie par les pensées écologiques de notre présent et affrontant enfin l’urgence climatique. Elles ont été perçues, à l’aune de leurs thématiques, comme vectrices de messages d’alarme, comme synonymes de retrouvailles avec les éléments naturels ou, plus généralement, comme des invitations à repenser la place de l’être humain dans le monde. Paysages partagés, a-t-on pu lire, était « un projet qui tomb[ait] à point nommé, la question du changement climatique et de la place de l’homme dans celui-ci étant dans tous les esprits » (Bornstein, 2023), et entendait « dénoncer vaillamment notre aveuglement suicidaire face au péril climatique » (Pascaud, 2023 : 32); la randonnée-théâtre Que ma joie demeure, adaptation du roman éponyme de Jean Giono (2011 [1935]), a quant à elle été louée pour « donner la parole au vivant » (Darge, 2023).

Il serait tentant d’ironiser sur cette soudaine découverte, alors que l’association des termes « théâtre » et « paysage » n’est pas nouvelle, si l’on pense, en nous restreignant à des expériences françaises relativement récentes, aux spectacles de Bill Mitchell et de sa compagnie Wildworks (Raynaud, 2008) ou aux premières créations dans le paysage d’Alexandre Koutchevsky, au milieu des années 2000, que l’auteur-metteur en scène du collectif Lumière d’août a accompagnées d’un manifeste1. Et, sans doute, cet emballement de la presse généraliste s’explique aussi, si ce n’est surtout, par l’originalité, toujours soulignée, de ces propositions qui invitent les spectateur·trices à vivre une expérience inhabituelle : délocalisation dans des espaces naturels et potentiellement inconfortables, étirement de la durée (plus de six heures), horaires exceptionnels (à l’aube), engagement physique (marche dans la chaleur de l’été provençal). Malgré tout, l’appariement du théâtre et du paysage n’est pas qu’un phénomène de mode, une illustration théâtrale des pensées contemporaines de l’écologie ou une expérience distrayante et atypique pour spectateur·trices blasé·es. En témoigne, toujours en 2023, la publication de deux numéros de revues spécialisées en études théâtrales intégralement consacrés à la question du paysage au théâtre : celui de la Revue d’histoire du théâtre, intitulé « La fabrique du paysage », lui accordant une profondeur historique, et celui d’Alternatives théâtrales, « Théâtre / paysage2 », proposant une cartographie, nécessairement parcellaire, des pratiques de théâtre-paysage dans l’espace francophone européen3. Avec cet article, nous souhaitons contribuer à l’émergence de ce champ de recherche en tentant de cerner les caractéristiques saillantes des rapports contemporains entre théâtre et paysage et de circonscrire leurs enjeux écologiques. Pour cela, notre démarche, qui procédera de l’analyse de discours et de trois propositions artistiques récentes, renversera la belle question que pose Christophe Triau dans l’avant-propos du numéro d’Alternatives théâtrales : « Que fait le paysage au théâtre? » (Triau, 2023a) deviendra « Que fait le théâtre au paysage? ».

 

Faire théâtre avec le paysage

De la lecture des deux numéros mentionnés, il ressort trois types de rapports du théâtre au paysage. D’une part, de nombreux articles du numéro de la Revue d’histoire du théâtre dessinent les linéaments d’une histoire de la représentation du paysage naturel sur les scènes occidentales, de ses techniques et de ses fonctions. Cette histoire aurait son origine dans les décors à compartiments, microcosmes valant pour images de la variété du monde, et aboutirait aux toiles peintes et autres machines spectaculaires du XIXe siècle, tendant à susciter la stupéfaction des spectateur·trices ou à participer à l’appropriation symbolique de contrées lointaines, inconnues, sauvages. Ces représentations à visée totalisante ont disparu des scènes contemporaines, si l’on en croit les propos des différent·es scénographes interrogé·es (Philippe Quesne, Nadia Lauro et Nicky Rieti), puisque la nature n’y serait aujourd’hui présente que sous la forme métonymique de fragments matériels déliés de leur environnement, ou comme l’envers à imaginer de l’artificialité des phénomènes scéniques censés la représenter. Aujourd’hui, la scène ne viserait plus la représentation de la nature, mais s’exposerait en tant qu’écosystème machinique et symbolique dans lequel les interactions non hiérarchisées entre les éléments artéfactuels de la représentation vaudraient pour analogon de celles qui parcourent les milieux naturels.

D’autre part, la notion de paysage permet de qualifier une modalité de représentation théâtrale désanthropocentrée, non dramatique, régie par des principes spatiaux davantage que temporels. Maria Clara Ferrer poursuit, dans les deux publications, l’exploration des « scènes-paysages4 » (2023a; 2023b) qui essaiment les scènes contemporaines depuis les premiers spectacles de Bob Wilson jusqu’aux dernières créations de Claude Régy, Maguy Marin ou François Tanguy. Reprenant les conférences visionnaires de Gertrude Stein sur ses Landscape Plays (1934-1936) et les analyses de Hans-Thies Lehmann dans son Théâtre postdramatique (2002 [1999]), elle fait valoir le paysage comme un mode de composition de l’image scénique fondé sur deux principes : la constitution d’un effet d’horizon et l’acentrement.

Ces deux rapports du théâtre au paysage ressortissent essentiellement à l’histoire des représentations de la nature ou bien à l’histoire de la (post)modernité scénique. Certes, les décors ont pu, et peuvent encore, trahir les inquiétudes face aux dérèglements météorologiques (par exemple, les inondations) ou face aux forces naturelles inapprivoisables (la montagne), figurer ces phénomènes ou réalités comme des actants qui influent sur le drame (l’éruption d’un volcan) et donc sur le cours des affaires humaines, ou proposer ponctuellement des agencements dans lesquels la figure humaine entrerait en symbiose avec des entités non humaines (l’utilisation scénique des végétaux au XVIIe siècle). Certes, la scène-paysage peut faire office de propédeutique d’un regard désanthropocentré sur le monde en attirant l’attention sur des interactions physiques et des événements non humains. Il reste que ces deux rapports ne remettent pas fondamentalement en cause le « naturalisme » (Descola, 2021) du théâtre, pour reprendre la célèbre notion de Philippe Descola, citée à plusieurs reprises dans ces publications5. En extrapolant à partir du titre du numéro de la Revue d’histoire du théâtre, Quesne définit le théâtre comme « un art de gens qui ont appris à reconstituer la nature sur les scènes » et les spectateur·trices comme des « gens assis face à [cette] reconstitution » (Quesne, cité dans Causse et Fernandez, 2023 : 85). Il pointe ainsi deux traits saillants qui font du théâtre un art « naturaliste » en raison de son homologie avec la pratique de la peinture du paysage : d’une part, le dispositif perceptif du théâtre suppose une mise à distance du monde aboutissant à son objectivation; d’autre part, en tant qu’artefact humain et grâce à la mise en jeu de techniques de cadrage et de composition, il autorise une appropriation symbolique de ce monde.

 

Renoncer à la maîtrise ou l’accord au paysage

Le troisième rapport du théâtre au paysage, celui des pratiques de théâtre-paysage (ou de théâtre de paysage), aspire justement à se soustraire, au moins partiellement, à ce dispositif, en ce qu’il entend procéder à l’annulation de la distance et surtout à la remise en cause de l’appropriation symbolique : « Faire théâtre dans ce monde impose de le laisser être, de le prendre comme il se donne, de l’écouter, de le regarder avec toute l’attention poétique nécessaire » (Koutchevsky, 2011a : 51). À travers le théâtre-paysage, il ne s’agit pas simplement de transposer en extérieur, avec quelques aménagements, une pratique scénique habituée à la neutralité de la boîte noire pour lui accorder un décor naturel, mais bien « d’établir des liens avec [l]e monde » (idem). Les idées d’écoute, d’attention et de lien que convoque Koutchevsky montrent que le paysage n’est plus compris comme un dispositif perceptif, mais comme une réalité géographique; il n’est plus une image « vue de loin, mais […] un territoire habité, partagé par l’être humain et la nature sur un terrain commun qu’ils construisent ensemble6 » (Aït-Touati, 2023). La nature n’est alors plus considérée comme un décor, l’être humain n’est plus face au paysage, mais dedans, et il n’est plus le seul acteur dans le monde. Selon l’artiste-chercheuse Frédérique Aït-Touati, qui donne cette synthèse des redéfinitions contemporaines du paysage, le théâtre se montrerait particulièrement idoine pour donner forme au « bouleversement cosmologique en cours », car « certaines des questions anthropologiques et politiques les plus urgentes posées par la crise écologique sont des questions de dramaturgie et de mise en scène : qui parle? Qui distribue les rôles? Qui a le pouvoir d’agir, et comment?7 » (Idem.) Seulement, le théâtre-paysage dont il est question ici n’entend pas user de son « pouvoir cosmologique » à « refaire le monde8 » (idem), mais, de façon beaucoup plus humble, à faire avec le monde, à composer avec lui. Ainsi, les mots d’Alexandre Koutchevsky sont davantage proches de l’injonction que lance Jean-Marc Besse aux futurs paysagistes lorsqu’il prône « l’agir avec » ou « le faire avec » plutôt que « l’agir sur » (Besse, 2018 : 39) le paysage. Cette démarche paysagère renouvelée, qui « reconnaît dans la matière une sorte d’animation et l’envisage comme un espace de propositions potentielles et de trajectoires possibles » (ibid. : 41), trouverait alors son équivalent théâtral dans la recherche du « potentiel performatif » (Triau, 2023a : 5) du paysage9.

Nous pourrions alors dire que la composition, dans la pratique du théâtre-paysage, ne réside pas dans la production d’une totalité agencée à partir d’éléments préexistants, mais dans le fait de s’accorder10 à eux : le théâtre ne refait pas le monde, il s’agrège à lui. Par conséquent, cette composition est aussi une déposition partielle des artistes de théâtre, qui renoncent à la maîtrise quasi illimitée que leur procure la pratique en salle et à la prétention démiurgique du théâtre. Bien sûr, créer en salle, c’est aussi s’adapter aux contraintes physiques, à la résistance de la matière, faire face à la possibilité continuelle de l’accident. La pratique du théâtre-paysage ne ferait qu’amplifier ces invariants du théâtre par l’ajout de contraintes (météorologiques, juridiques, sonores, etc.) et par l’accroissement du risque d’accident. Mais le théâtre-paysage engage un autre rapport à la matière et à l’événement. Il se refuse à une appropriation achevée des éléments constitutifs du lieu où il se joue, de toute façon impossible. Bien plus, il laisse percevoir de l’inappropriable (matériellement et symboliquement), et ce fléchissement de la maîtrise est aussi une manière de mettre en scène la pluralité des actants autres qu’humains. De fait, « l’agir avec » ou l’accord au paysage présuppose la reconnaissance de l’agentivité irréductible de ses éléments. Le spectacle théâtral, d’une certaine manière, accorderait une place à l’expressivité, souvent imprévisible, de ces éléments – un souffle de vent, un rayon de soleil, le chant des oiseaux, le vacarme des moteurs ou une barre d’immeubles –, qui contribueraient ainsi à une œuvre polyphonique. En cela, la pratique du théâtre-paysage apparaît comme une forme paradigmatique d’une conduite, voire d’une éthique soucieuse du vivant. En d’autres termes, si l’engouement pour cette pratique peut s’expliquer par une dimension écologique, ce n’est assurément pas en raison de son didactisme ni même des thématiques qu’elle convoque – il est à noter que les auteur·trices interrogé·es rejettent unanimement un quelconque propos didactique à teneur écologique dans leurs œuvres (Triau, 2023b : 11) –, mais de la redéfinition de l’ethos de l’artiste, et partant de la position de l’être humain dans le monde, rendue perceptible dans la tenue même du spectacle : l’artiste ne fabrique, ne reconstitue ni ne réinvente plus le paysage, mais y participe.

 

Fabriquer de l’attention ou le théâtre comme intercesseur

Le théâtre-paysage ne prétend donc pas créer, mais contribuer à la sédimentation stratigraphique des paysages, composée par la superposition d’éléments non humains, géologiques ou biologiques, entremêlés aux traces des différents usages vernaculaires du site. Comme usage, bien qu’il ne laisse pas d’empreintes physiques, le théâtre-paysage endosse une fonction singulière : rendre visible ce qui était devenu invisible, par exemple en révélant une épaisseur historique oubliée, ou, surtout, en suscitant l’attention pour des réalités bien actuelles, mais imperceptibles. En d’autres termes, il s’agit de déjouer la force anesthésiante de l’habitude, de défaire le point de vue utilitariste qui prévaut dans l’aménagement du territoire ou de restaurer un regard sensible sur le milieu. C’est sans doute là une autre raison importante de la valorisation subite du théâtre-paysage : il apparaîtrait comme une réponse possible à la crise écologique qui pèse sur le monde contemporain, fréquemment qualifiée de « crise de la sensibilité11 » (Morizot, 2020 : 17) ou de l’attention. La question de l’attention revient, de fait, inlassablement dans les paroles des artistes sollicité·es, mais si l’intensification de l’attention au paysage est posée comme un objectif, elle est aussi la source d’un problème à résoudre, et il ressort que le théâtre-paysage participe d’une autre économie de l’attention que la scène-paysage. Dépourvue d’organisation hiérarchique, constellée de mouvements multiples, simultanés, décentrés, cette dernière exige en effet un geste des spectateur·trices, qui choisissent leurs points de mire parmi la pluralité des évolutions scéniques en se focalisant aléatoirement sur certains éléments, en pratiquant une « inattention sélective » (Schechner, 2008 : 253) comme l’a théorisé Richard Schechner12. L’intensification dans la scène-paysage est rendue possible par le cadre de scène, qui délimite un écosystème sur lequel se concentrer, mais dans le cas du théâtre-paysage, la perspective voulue par les artistes ne peut tenir lieu de cadrage. L’attention doit être guidée afin d’éviter sa dilution; c’est l’une des fonctions du jeu et de la parole des acteur·trices, qui intercèdent entre le paysage et les spectateur·trices.

Par exemple, dans le spectacle Blockhaus (2014) de Koutchevsky, cette intercession consiste d’abord, logiquement, à désigner ce qui est. Jouées sur certains bunkers du mur de l’Atlantique, les représentations sont l’occasion d’observer d’énormes blocs de béton armé, souvent jugés disgracieux et porteurs de souvenirs douloureux. Le texte des deux premières parties de la pièce, dit par Charline Grand et Elios Noël, s’attarde sur les origines et les caractéristiques de ces constructions, pointe et explique ce qui tient devant le public. L’intercession passe ici par les mots qui focalisent l’attention sur ces masses informes auxquelles on est le plus souvent indifférent. Mais Blockhaus n’est pas une visite guidée, parée d’une plus-value artistique, d’un monument construit par l’être humain; il est aussi une expérience sensible du paysage. La désignation provient donc également des qualités du jeu des artistes, salué·es par l’auteur pour leur « aptitude à être entièrement à l’écoute de ce qui survient sans prévenir, aux aguets sensoriels » (Koutchevsky, 2011b : 12). Cette perception de l’apparition d’événements visuels, sonores et tactiles est exhibée dans les mises en scène de Koutchevsky : les comédien·nes se tournent, s’arrêtent, modulent leur voix, orientent leur regard en fonction de ce qui survient inopinément13, et par là même révèlent ces microévénements en balisant l’attention du public vers les variations sensorielles de la réalité du lieu. Cependant, l’intercession peut suivre un trajet absolument inverse en recourant à la fabulation. « [L]e théâtre-paysage nomme, renomme, réinvente et dit son lieu », écrit Mathilde Delahaye à propos de sa pratique, pour souligner la « [j]ubilation déictique de la parole en paysage » dans son acte de « [f]abuler le monde » (Delahaye, 2023 : 304). Elle poursuit en comparant cet usage de la parole théâtrale aux formules qui permettent, dans les jeux enfantins, de transformer n’importe quel lieu en espace fictionnel. Or cette transformation est toujours incomplète, et les spectateur·trices ont conscience de l’écart entre ce qui est dit et ce qui se tient sous leurs yeux. En d’autres termes, la parole théâtrale dit ce qui n’est pas pour révéler la présence de ce qui est. Ainsi, Blockhaus déploie des fictions qui décrivent des réalités virtuelles du lieu, par exemple lorsque les deux acteur·trices figurent des guides du XXXIe siècle qui, dans la présentation des résultats des fouilles archéologiques sur le site, font l’hypothèse que ces bunkers auraient pu être des œuvres d’art ou encore des édifices religieux. Le regard est invité à faire l’expérience de l’écart entre ce qui est dit et ce qui est vu. Les virtualités fictionnelles renvoient à la réalité de ce qui se tient là. Ce type d’intercession atteint son paroxysme dans la troisième partie, lorsque Charline Grand et Elios Noël sont rejoint·es par Katja Fleig. Face au public, devant la mer, Fleig raconte l’histoire fictive de son grand-père aviateur, disparu lors d’une mission de surveillance du littoral pendant la Seconde Guerre mondiale, et indique qu’elle est venue scruter l’horizon à la recherche de sa généalogie et de l’Histoire englouties : « j’attends les soleils, qu’ils apparaissent ou qu’ils disparaissent » (Koutchevsky, 2015 : 43). Cette posture d’attente et de guet, d’attention aux phénomènes transitoires, attribuée au personnage, fonctionne comme une invite pour les spectateur·trices, appelé·es à sonder l’horizon maritime. Le spectacle prévoit alors l’apparition lointaine d’un biplan, qui survole le public avant de se rapprocher de la surface de l’eau et de disparaître à l’horizon, dans une finale où la parole théâtrale et la réalité semblent miraculeusement converger pour ressusciter l’Histoire. Bien sûr, cette épiphanie est un artifice théâtral, mais elle amplifie ce qui survient déjà dans l’attention au paysage : l’apparition éphémère d’une réalité inattendue, une variation dans le champ du sensible, une nouvelle perception qu’accueille le corps du·de la spectateur·trice. À travers toutes ces modalités d’intercession, celui-ci s’ouvre au paysage, se rend disponible au flux sensoriel, sensible aux surgissements. Ces intercessions développent une écologie de l’attention au milieu, créent des relations affectives et fantasmées avec lui. Le théâtre-paysage ne consiste pas en une représentation théâtrale devant un décor paysager : il crée des trajets attentionnels dans le paysage. Dans cette écologie de l’attention au milieu, l’idée d’optimisation de la mobilisation attentionnelle, proposée dans les scènes-paysages, se mue en une volonté de décroissance de l’opération de maîtrise de la focalisation. Il n’y a cependant pas d’absence de guidage, mais une démarche créatrice de conditions donnant à éprouver la complexité du milieu « au-delà ou en deçà de ce que nous pouvons y identifier comme ressource » (Citton, 2018 : 11). En ce sens, le théâtre-paysage s’inscrit dans la filiation de la démarche écosophique proposée par Arne Næss (2009; 2017).

 

Éprouver le paysage

Si les théâtres-paysages induisent une redéfinition de l’action et de l’attention de l’être humain dans le monde, il n’en demeure pas moins qu’ils ne renoncent pas totalement au rapport frontal au monde, au « face-à-face » (Descola, 2021 : 64) dont parle Descola. D’ailleurs, les notions de cadre, de perspective et de point de vue, souvent employées par Alexandre Koutchevsky, mais aussi par Mathilde Delahaye, Simon Gauchet, Clara Hédouin et Guillaume Lambert, signalent une dette à la tradition picturale du paysage, pourtant contestée14. Il ne s’agit cependant pas d’une contradiction ou d’une limite inhérente aux pratiques, car la relation spectaculaire est consubstantielle à l’exposition de « l’agir avec » : elle met en scène l’accord du théâtre au paysage. Souligner la persistance de cette relation dans le théâtre-paysage a ici pour objectif de démarquer certaines performances qui entendent s’en dispenser, entretenir un autre rapport à l’espace, et qui dérivent d’une autre appréhension du paysage, entendue comme « l’expérience […] d’une immersion qui agite en quelque sorte le corps et le met dans un certain état » (Besse, 2018 : 49). C’est le cas de Ce que nous dit l’eau : rituel d’attachement (2023), conçu par Floriane Facchini, et de certaines séquences de Paysages partagés.

Ces deux performances, créées en 2023, contrairement aux productions de théâtre-paysage évoquées plus haut, thématisent ouvertement la question du paysage et en font un enjeu de société essentiel. Ainsi, les curateur·trices de Paysages partagés, Barneaud et Kaegi, convient le public à vivre « une expérience collective de l’environnement » à partir de « pièces qui postulent que le paysage n’est pas une toile de fond, qui invitent à déplacer les perspectives habituelles, à entrer en relation autrement et collectivement et à mettre en lumière l’invisible et quelques-unes des fictions qui gouvernent nos perceptions de la nature15 ». Pour cela, il·elles ont sollicité des artistes européen·nes bien en vue, metteur·es en scène de théâtre (Émilie Rousset, El Conde de Torrefiel et Stefan Kaegi lui-même), chorégraphes (Sofia Dias, Vítor Roriz, Chiara Bersani et Marco d’Agostin), compositeur (Ari Benjamin Meyers) et artistes pluridisciplinaires (Begüm Erciyas et Daniel Kötter), et leur ont commandé des formes performatives assez brèves16, à exécuter dans un espace rural, comme la plaine de Mauvernay (Lausanne) ou le plateau du Pelatier à Pujaut (Festival d’Avignon17). Nous reviendrons sur certaines des sept propositions qui forment Paysages partagés, long spectacle composite de sept heures se déroulant l’après-midi sous forme de déambulation au sein d’un site « naturel ». Le public se déplace, dans son ensemble ou en sous-groupes, d’une proposition à l’autre, guidé par des médiateur·trices18. Une même exploration sensible d’un paysage est au cœur de Ce que nous dit l’eau, performance bien moins médiatisée19 qui projette de produire des attachements à un paysage en particulier, plus précisément au cours d’eau qui le traverse. Au cours de celle-ci, le public est invité à boire et à goûter l’eau du fleuve, même polluée, à travers des breuvages et préparations culinaires. Par le prisme de la thématique du fleuve nourricier d’un territoire et de sa végétation, Facchini aborde ainsi l’un des enjeux écologiques cruciaux de notre époque et espère raviver les liens sensibles à la présence de l’eau dans le paysage. La performance est presque privée de relation spectaculaire : elle débute par une promenade d’une quarantaine de minutes durant laquelle le public écoute divers témoignages de riverain·es portant sur leurs relations – professionnelles, récréatives ou affectives – au cours d’eau qu’il est en train de longer. Après la marche, les participant·es sont invité·es à un rituel de dégustation de la rivière, qui commence par la consommation de poisson cru servi sur la main, accompagné d’une sauce aux herbes locales et d’un morceau de fruit. Il·elles se voient ensuite offrir différentes boissons fermentées, élaborées à partir de l’eau du fleuve et de la flore sauvage de ses rives. Troisième et dernier temps : les participant·es se rassemblent autour d’une grande table, située au bord de l’eau20, où sont disposés des légumes locaux, cuits au brasier dans une croûte de sel, et les dégustent avec les mains, dans un moment collectif de partage et d’échange.

 

Habiter le paysage ou l’immersion sensorielle

Ce que nous dit l’eau et les séquences de Paysages partagés dont nous avons fait le choix de parler ici prennent acte de la redéfinition du paysage selon laquelle l’être humain ne se tient pas devant le paysage, mais dedans, et ne le contemple plus, mais l’habite. Recoupant partiellement la notion de territoire, il devient un espace que l’être humain habite de façon à la fois active et affective : si l’action renvoie aux usages et donc aux transformations opérées dans le paysage, la dimension affective réside dans « une certaine manière d’être traversé, voire d’être envahi, par la teneur du monde à un moment donné » (Besse, 2018 : 21). Cette ambivalence, décrite ici par Besse, semble structurer les deux performances, qui associent des témoignages sur les pratiques vernaculaires du paysage à l’immersion sensorielle. L’utilisation du casque audio comme dispositif sonore est révélatrice de cette double dimension. Durant la promenade initiale de Ce que nous dit l’eau à Divonne-les-Bains, le public écoute au casque des témoignages de pêcheur·euses, de fermier·ères en aquaponie, de responsables de la gestion du cours d’eau, et des exposés d’historien·nes concernant les aménagements et les utilisations de la Divonne au cours des derniers siècles, tout en étant réceptif aux différentes sensations visuelles, olfactives ou tactiles qui le stimulent durant sa déambulation, sans compter les sons d’ambiance, mixés aux paroles, qui enrichissent le paysage sonore. Si la solution du casque audio a d’abord été retenue pour permettre à chacun·e d’entendre malgré les bruits ambiants et quel que soit son positionnement dans un périmètre délimité par la portée du matériel de diffusion, le dispositif technique, en faisant de la bande préenregistrée le support quasi exclusif de l’attention auditive, crée un cadrage sonore qui agit sur la perception et sur les autres sens (visuel, mais aussi proprioceptif, car le rythme de la déambulation est imposé par la nécessité de se maintenir dans le champ). En réduisant certaines possibilités de distraction, ce cadre sonore mobile, qui se substitue d’une certaine manière au cadre de scène, bouleverse la hiérarchie habituelle des sens sollicités au théâtre et dans la vie, amplifiant le rôle de l’ouïe et rendant plus flottante l’attention accordée à d’autres supports potentiels (notamment visuel).

C’est ce même principe de focalisation auditive et de liberté de placement dans un périmètre que nous trouvons à l’œuvre dans la première pièce de Paysages partagés, signée par Kaegi, habitué, au sein du collectif Rimini Protokoll, aux pièces hors les murs, le plus souvent dans l’espace urbain, et aux productions radiophoniques. Mais cette fois, le corps peut, sans obligation cependant, demeurer immobile et relâché. Au début, la voix entendue au casque invite à s’allonger dans un espace boisé et à observer la cime des arbres et le ciel. Étendu·es à même le sol, les spectateur·trices écoutent une conversation entre une psychanalyste, un enfant, un forestier, un météorologue et une personne d’origine étrangère installée dans la région (une chanteuse japonaise à Lausanne, une réfugiée ukrainienne à Pujaut). La conversation entre ces personnes, qui restent anonymes, semble avoir été enregistrée sur le lieu de l’écoute. Elle est en effet située, par montage, dans un paysage sonore binaural composé de bruits de pas, d’animaux, de vent dans les branchages. Ponctuée d’extraits d’une chanson, elle aborde différentes caractéristiques de la forêt (l’essence des arbres, la composition du sol), ses usages (comment est-elle gérée? En quoi est-elle une ressource économique peu rentable aujourd’hui? Peut-on y danser, y mourir?), les sentiments ambivalents qu’elle éveille dans l’imaginaire collectif, ses habitants non humains (les arbres bien sûr, mais aussi la faune, les champignons…) et ses devenirs (la fin paradoxale de l’anthropisation à Tchernobyl, la menace du réchauffement climatique). Une variété de manières humaines de « faire avec » la forêt est donnée à entendre. Dans le même temps, le corps du·de la spectateur·trice connaît un moment de ralentissement, de suspension, et devient alors attentif aux changements de lumière à travers les branchages, ressent les souffles du vent et le contact agréable des végétaux comme celui, plus rugueux, des anfractuosités du sol, et sent les parfums du sous-bois ou de la garrigue. Pour reprendre la distinction de Besse entre action et affection, l’immersion dans l’espace sylvestre génère les affections du corps, tandis que le canal auditif porte le récit des actions humaines dans la forêt.

Plus tard, la pièce chorégraphique de Dias et Roriz engage les spectateur·trices dans une appréhension à la fois virtuelle et sensorielle de ce même paysage forestier. Après s’être divisé·es en deux groupes équivalents, qui n’entendront pas tout à fait la même piste audio, les spectateur·trices sont encouragé·es à « être avec le paysage21 », d’abord dans le silence, pour écouter à la fois les bruits de la forêt et ceux de leur propre corps, rendus audibles par le casque. Puis, après que le public a formé un cercle autour d’un drapeau, le dialogue enregistré des deux artistes portugais·es enchaîne des consignes d’actions simples à réaliser : mouvoir successivement différentes parties de son corps, se regarder mutuellement au sein du groupe, interagir physiquement. À travers ces différentes actions, il s’agit bien sûr de sentir son propre corps immergé dans un milieu relationnel, mais aussi de penser ses potentialités ancestrales, et donc oubliées (les voix relient les caractéristiques anatomiques de l’être humain à ses usages préhistoriques des milieux naturels). Les voix disent et les corps performent ces rapports physiques au paysage. Le temps suivant invite le groupe à expérimenter un point de vue non humain, en exécutant une nouvelle fois certains gestes naïfs : exprimer vocalement un rythme personnel, à la manière des signes sonores que certaines espèces animales produisent en guise de reconnaissance; regarder à travers ses doigts comme un prédateur à l’affût; imiter « la forme d’une montagne », d’un arbre (« Je suis un arbre, nous formons une forêt »). Ensuite, le groupe se reforme pour aborder la question de la marche, elle aussi ramenée à son origine immémoriale. Alors que ces séquences se développaient initialement dans une quiétude bienveillante, le dialogue met en scène une rupture brutale de l’équilibre, un danger imminent : « Tu t’arrêtes / Arrête / Je m’arrête / Quelque chose a changé dans la forêt ». Là encore, il s’agit de s’animaliser, de se cacher dans les plis du terrain et de la végétation, de se grandir avec un bâton glané sur place. Mais à la vision conflictuelle, concurrentielle du vivant succède finalement la mise en œuvre, par les corps, d’une dynamique relationnelle basée sur la coopération entre différents éléments par la création d’un rhizome reliant les personnes, les arbres, les pierres, et plus encore. Lors du déploiement dans l’espace de cette sculpture vivante, les voix nous enjoignent à repenser nos connexions, à inventer de nouveaux rapports aux milieux paysagers. À travers cette performance immersive, participative (la chorégraphie n’existe qu’actualisée par le public) et composée d’exercices écosomatiques, le rapport entre actions et affections se noue autrement. Au contraire de la dissociation produite par le dispositif technique de la pièce audio de Kaegi, il s’agit ici de montrer leur intrication, en rêvant et en œuvrant à la restauration de gestes ancestraux participant d’une sensibilité originelle au vivant. Les spectateur·trices jouent à réagir à des affects imaginaires par des gestes primordiaux.

Ces pratiques artistiques immersives agissent, elles aussi, en intercesseurs. En nommant et en pointant les affections sensibles qui touchent les corps dans les milieux qu’ils habitent, en donnant simultanément à expérimenter des postures inhabituelles et des sensations d’ordinaire imperçues, elles rendent perceptible l’appartenance de l’être humain au monde et œuvrent au renouvellement de la sensibilité. Mais, à la différence des expériences de théâtre-paysage précédemment citées, elles engagent à éprouver, dans et par le corps, une autre manière d’être-dans-le-paysage, sans la déléguer à un texte fictionnel ou au jeu des comédien·nes, dans un mouvement qui se veut utopique (au moins dans la pièce chorégraphique). C’est d’ailleurs cette dimension, à la fois ambitieuse et simple, qui consiste à se livrer à des jeux a priori basiques en s’exposant au regard d’autrui, qui explique en partie la réception plus ou moins amusée, incrédule ou retenue de ces invitations à participer. Par ailleurs, il est à noter que les propositions de Paysages partagés ne sont pas exclusivement immersives et qu’elles développent des points de vue complémentaires, voire contradictoires. Il est, de fait, possible de déceler dans la pièce de Bersani et d’Agostin, absolument frontale, une critique implicite de l’utopie irénique, et peu politique, d’une immersion sensorielle régénératrice, en ce qu’elle néglige un enjeu fondamental : les inégalités d’accès au paysage pour les personnes en situation de handicap22.

Ce que nous dit l’eau se présente dès son premier temps comme une expérience sensorielle sonore, motrice et visuelle, puis sont convoqués l’odorat et le toucher (des plantes, des préparations culinaires) et, trait singulier dans les pratiques de théâtre-paysage françaises, le goût. Facchini utilise une métaphore poétique pour désigner la cristallisation synesthésique qui se noue dans la dégustation : « À l’idée de déguster des saveurs inédites et des mets topiques, s’ajoute celle, poétique, d’ingérer des images, sensations et lumières, propres à chacune des entités “eau” rencontrées : boire un coucher de soleil de Loire ou une boisson composée de rosée d’un matin brumeux23 ». Il est possible de comprendre cette puissance synesthésique grâce à la convergence de multiples stratégies, très simples, pour activer l’attention : devant un paysage aquatique, le dressage du banquet se fait en musique, les mets sont exposés telles des œuvres d’art, et le repas se prend à la main, assis·e par terre autour de la table basse, le nez sur les plats. Mais il faut surtout souligner le rôle prépondérant de la parole explicative : des aliments ont été nommés, présentés, décrits dans les séquences précédentes. La nomination est essentielle (surtout concernant la flore) : elle nous rend, par exemple, conscient·es de l’existence de plantes négligées (les fameuses mauvaises herbes) qu’on retrouve ensuite dans la composition des boissons et des plats, et participe donc de la constitution du paysage. Grâce à l’accumulation de ces savoirs vernaculaires, la parole contribue à attribuer une autre valeur à l’action quotidienne de manger, soit celle d’une dynamique relationnelle qui relie l’être humain au fleuve par l’intermédiaire de l’eau : la métaphore du fleuve nourricier devient ainsi littérale. Mais elle révèle également les contradictions du paysage (son anthropisation renforcée par les actions environnementales?), ses périls invisibles (la pollution des fleuves, la présence de pesticides dans les boissons et aliments ingérés). À travers cette parole, c’est une politique du territoire qui est énoncée, articulant les intenses expériences sensorielles offertes à des trajectoires de réappropriation cognitive et affective.

 

Habiter un paysage ou des pratiques participatives

Ce que nous dit l’eau soulève la question de la dimension topique des performances dans le paysage. S’agit-il d’envisager le paysage dans lequel elle se donne comme une forme générique, valant pour tous les paysages, ou, au contraire, d’en révéler les caractéristiques spécifiques? Cette question n’est pas anodine, car elle touche à la teneur politique de la performance, et d’une certaine manière à son effectivité. La première démarche vise à susciter chez le public une prise de conscience de la nécessité de repenser les relations au paysage afin de l’amener à agir ensuite dans des lieux différents. La seconde se propose d’agir directement sur un paysage, en contribuant à sa réappropriation symbolique, ou à la découverte de potentialités qui le redéfiniraient dans une logique de territorialisation de la performance.

Cette territorialisation est limitée dans Paysages partagés. Entre Lausanne et Avignon, la distribution de la pièce de Kaegi est modifiée afin de prendre en compte la spécificité du territoire forestier, ses enjeux (respectivement l’industrie du bois et le risque d’incendie) et quelques anecdotes ancrant localement le discours (la découverte d’un cadavre en Suisse, les vols de parachutes en Provence), mais la trame de la conversation enregistrée est conservée : la visée documentaire qu’on peut attribuer à la pièce ne vise pas tant les caractéristiques du lieu que les représentations de la forêt. De même, dans l’autre pièce ouvertement documentaire de Paysages partagés, la territorialisation s’avère modeste. La proposition de Rousset est composée de trois entretiens, reliés par une même thématique implicite : la sixième extinction de masse, et plus particulièrement la raréfaction des oiseaux dans les zones rurales. Ils sont menés par un personnage d’enquêteur / journaliste qui interroge des spécialistes du paysage, une bioacousticienne, une lobbyiste au sein d’institutions européennes et un agriculteur. Par là même, il s’agit de donner à entendre une parole experte, d’exposer des professions souvent méconnues. Adoptant une forme qu’on pourrait qualifier de théâtre-paysage documentaire, la pièce est mise en scène dans un environnement champêtre. Le public entend au casque ces entretiens, alors que le comédien (l’interviewer) et la comédienne (successivement la scientifique et la lobbyiste) sont d’abord invisibles24 – ce sont, à proprement parler, les seul·es comédien·nes employé·es dans Paysages partagés. Ensuite, depuis le lointain, il·elles s’approchent progressivement du public, bientôt rejoint·es par un tracteur d’où descend un paysan local. Celui-ci décrit à grands traits sa vie professionnelle, l’engin mécanique et ses fonctions, puis constate la disparition des chants d’oiseaux. Là encore, le dialogue fait entendre des spécificités locales (la production laitière à Lausanne, la viticulture à Pujaut) et des difficultés régionales particulières (le problème de la reprise des exploitations, les carences en eau). Cependant, ces enjeux territoriaux s’insèrent, tels des exemples, dans un discours général sur la perte de biodiversité. Cette généralisation est symptomatique du point de vue adopté par Paysages partagés : le projet s’intéresse au paysage pris dans son acception générique. Nous pourrions invoquer à ce propos la nécessaire adaptabilité du dispositif aux différents environnements dans lesquels la performance se joue et au calendrier d’une tournée européenne, rendue possible par une délégation de territorialisation à des expert·es régionaux·ales dont l’intervention n’a pas d’impact sur l’esthétique même du dispositif. C’est aussi le choix d’une démarche ouvertement autoréflexive, remarquable dans sa structure même en stations visant à multiplier les approches de l’idée de paysage, qui explique ce caractère d’extraterritorialité de la forme. L’idée de paysage est déclinée selon différentes modalités (politique, anthropologique, sociale, esthétique) et matérialisée dans une réalité locale donnée comme exemple particulier parmi une infinité de paysages constitutifs d’un ensemble nommé Nature. La pièce qui précède la conclusion des sept heures de spectacle25 rend évident ce passage au général. Dans la proposition d’El Conde de Torrefiel, le public est assis face à un paysage dégagé, devant lequel se trouvent un écran DEL et quatorze haut-parleurs. Ceux-ci diffusent une voix distordue, parlant une langue inconnue, générée par une intelligence artificielle et traduite sur le bandeau électronique. Après quelques instants, les spectateur·trices comprennent que cette voix est celle d’une entité anonyme, mais qu’on désigne habituellement, dit-elle, sous les noms de Nature, Gaïa, Terre… Au service d’un propos désanthropocentré, l’appareillage donne à entendre et à lire un discours de la Nature. L’unique référence au lieu – par exemple, le Ventoux à Pujaut, qui surplombe le paysage offert au public – apparaît dans un discours global dénonçant l’exploitation productiviste des éléments naturels et appelant à leur insurrection violente, jusqu’à la disparition de l’humanité. En bref, le territoire s’efface au profit d’un propos cosmologique totalisant.

Il en va autrement dans Ce que nous dit l’eau, qui se revendique comme un projet artistique de territoire. Contrairement aux réaménagements ponctuels de Paysages partagés, le processus de création commence par un travail d’enquête de terrain qui peut s’étirer sur une longue période (de trois mois à deux ans) et qui précède la conception du dispositif, lequel varie en fonction des résultats de l’enquête. Il est, par conséquent, impossible de parler de tournée au sujet de cette performance, bien qu’elle ait été réalisée en différents lieux et le sera encore dans les prochaines années. Par ailleurs, la trame même peut connaître des variations. L’enquête se fait auprès des habitant·es du territoire, interrogé·es sur leurs attachements au cours d’eau, leurs usages, leurs traditions culinaires et leurs connaissances de la flore locale. Les données récoltées sont ensuite réinvesties dans la performance sous la forme des témoignages écoutés au casque lors du premier temps de déambulation. Si la voix de Facchini fait le lien, il n’en demeure pas moins que nous entendons une polyphonie de voix singulières dessinant un paysage d’affects et de savoirs, et appelant à une autre relation à l’eau et au milieu26. Selon l’artiste, la connaissance du territoire est essentielle pour produire l’attachement du·de la spectateur·trice envers celui-ci. Le fait de nommer précisément les éléments du paysage et d’entendre des récits liés aux lieux véhicule un sentiment d’appartenance. L’implication de la population locale est également visible lors du dressage chorégraphié et en musique de la table avant le banquet final : des habitantes entourent l’artiste Johanna Ricard dans la disposition des mets. Mais plus généralement, c’est la présence physique des personnes interrogées lors de l’enquête et prêtes à la discussion lors des moments de latence de la performance, et celle des usager·ères du lieu dans le public qui donnent tout son sens à Ce que nous dit l’eau : la performance ne s’adresse pas, en premier lieu, à un public indifférencié de festivalier·ères27 ou de spectateur·trices extérieur·es, mais bien à ceux·celles qui l’habitent, afin de leur faire prendre conscience des richesses, des potentialités alternatives, des autres manières d’être et d’user du territoire.

Si les invitations au jeu dans Paysages partagés sont continuellement guidées et interpellent les spectateur·trices quant à leur participation même, Ce que nous dit l’eau aménage de longues séquences de latence sans guidage, sans récit et sans action théâtrale. Pendant ces moments de vacance, Facchini et ses partenaires se mettent en retrait, mais restent disponibles, apportant, selon les initiatives des spectateur·trices et leurs sollicitations, des explications sur le déroulé ou sur des aspects de la flore, du paysage et du repas, et laissant une place conséquente aux échanges intersubjectifs entre participant·es. Et surtout, la performance comprend deux moments fondamentalement participatifs : le rituel de dégustation, propice au partage des sensations gustatives, et le banquet final. Avec celui-ci, Ce que nous dit l’eau s’inscrit dans une tradition performative (Cyr et Montaignac, 2015), qui depuis les années 1970, recourt à la commensalité pour cimenter une communauté éphémère. Mais là où de nombreuses expériences superposent un repas pris en commun à un spectacle qui, à lui seul, ne parviendrait pas à satisfaire un besoin de convivialité (Stourna, 2011 : 241), le moment du banquet vaut ici pour lui-même en tant que partie constitutive du spectacle. Ce moment collectif de plaisir dans un paysage n’a d’ailleurs pas de fin assignée, si ce n’est le départ de la navette qui reconduit le public vers la ville.

***

Dans ces deux cas, nos approches du paysage sont interrogées par des protocoles immersifs qui articulent le cognitif et le sensoriel. Le paysage peut être envisagé en tant qu’idée abstraite faisant fonction de dénominateur commun dans la conception spatiale des différents rapports à la Nature (face à, dans), ou comme une matérialité concrète visant le commun à travers une tentative d’intensification de l’incorporation et de la cognition d’un territoire et de sa multispécificité. Selon des modalités différentes, plus conceptuelles ou plus épicuriennes, le jeu avec le paysage tente de toucher nos liens primordiaux et sociaux au territoire : il aspire à restaurer ou à fabriquer des attachements symbiotiques en donnant à éprouver la beauté et la puissance de ce qui constitue le milieu, et valorise des pratiques et des savoirs qui révèlent de possibles alternatives politiques. Ces diverses manières de tisser la pensée et l’imaginaire avec le sensoriel produisent autant de partages du sensible, d’agencements de sensations, de mots, d’images et d’éléments autres qu’humains. En redessinant le sensible, cette « puissance de synthèse qui fait un monde[28]28 » (Rancière, 2019 : 79), elles permettent ainsi d’habiter autrement, et ensemble, les paysages.

 

Couverture : Blockhaus, avec Charline Grand et Elios Noël. Plage de Cleut-Rouz, Fouesnant (France), 2014. Photographie de Caroline Ablain.

 

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  • 1. Voir Alexandre Koutchevsky (2011a; 2011b).
  • 2. Le numéro comporte des entretiens ou des témoignages des artistes suivant·es : Clara Hédouin, Alexandre Koutchevsky, Mathilde Delahaye, Simon Gauchet, Quentin Claude et Marion Even de la compagnie Migration, Philippe Quesne, Camille Panza, Silvio Palomo, Eléonore Valère-Lachky, Monia Montali et François Bodeux.
  • 3. Citons également l’article de Climène Perrin (2023) consacré à un autre artiste de théâtre-paysage, Guillaume Lambert.
  • 4. Cette exploration avait déjà été exposée dans son article « La scène-paysage : penser une scénographie du regard » (Ferrer, 2017).
  • 5. Selon l’anthropologue, « la peinture de paysage » est le dispositif figuratif emblématique de l’ontologie moderne occidentale, en ce qu’elle repose sur le « face-à-face entre l’individu et le monde » (Descola, 2021 : 64). Or, pour dire cette objectivation du monde en tant que nature, conséquence de sa mise à distance, il emploie de façon récurrente la métaphore du théâtre, qui apparaît dès lors comme une seconde forme archétypale de l’ontologie naturaliste. Le philosophe du paysage Jean-Marc Besse affirme de manière similaire que le théâtre et le paysage partagent, aux origines de l’ère moderne, une même « structure de perception et de pensée » (Besse, 2000 : 52) qui permet de mieux comprendre le monde en s’en extrayant.
  • 6. « […] seen from afar, but […] an inhabited territory, shared by man and nature on common ground, which they build together ». Toutes les citations en anglais de cet article ont été traduites par nos soins.
  • 7. « […] cosmological upheaval underway »; « […] some of the most pressing anthropological and political questions posed by the ecological crisis are questions of dramaturgy and stagecraft: who speaks? Who distributes the roles? Who has the power to act, and how? »
  • 8. « […] cosmological power »; « […] to remake the world ». L’autrice allègue par exemple les vertus de la prosopopée au théâtre, qui accorde une voix aux êtres non humains, aux dieux comme aux éléments naturels, et remet ainsi en cause la distribution des voix et des capacités de l’ontologie anthropocentrique moderne.
  • 9. La métaphore « de la greffe, de la bouture » qu’utilise Mathilde Delahaye dans ce numéro, pour nommer « le nouage sensible » (Delahaye, citée dans Triau, 2023b : 10) entre théâtre et paysage, traduit également cette éthique de l’agir avec.
  • 10. Cette métaphore musicale de l’accord, souvent utilisée par Koutchevsky, semble capitale pour saisir les enjeux esthétiques du théâtre-paysage. Elle se trouve aussi au centre de la pensée esthétique de Jean-Philippe Pierron, pour qui « le faire-ensemble écologique est un faire orchestral » (Pierron, 2023 : 155).
  • 11. « Par “crise de la sensibilité”, j’entends un appauvrissement de tout ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l’égard du vivant. Une réduction de la gamme d’affects, de percepts, de concepts et de pratiques nous reliant à lui » (Morizot, 2020 : 17).
  • 12. « Quand l’attention erre, on se met à s’attacher à des événements et des images qu’on ne remarquerait pas autrement ou qui resteraient indéfinis à l’arrière-plan » (Schechner, 2008 : 260).
  • 13. C’était par exemple le cas lors des représentations au bunker K3 de Lorient en mai 2015. Charline Grand et Elios Noël intégraient le fracas des averses et des bourrasques dans le texte, en suspendant leur diction. Il·elles les rendaient ainsi intensément perceptibles.
  • 14. La formule paradoxale « frontalité immersive » (Ferrer, 2023b : 74) qu’utilise Maria Clara Ferrer pour qualifier le rapport spectatoriel à la scène-paysage pourrait l’être également au sujet du théâtre-paysage. Seulement ici, ce n’est pas l’effet d’horizon, créé par la technique théâtrale, mais la situation même du public dans l’espace ouvert du paysage qui produit l’immersivité du dispositif (idem).
  • 15. Programme distribué lors des séances organisées à Lausanne par le Théâtre Vidy-Lausanne (28 mai et 18 juin 2023) et à Pujaut par le Festival d’Avignon (11 juillet 2023).
  • 16. La lettre reçue par les artistes, valant pour cahier des charges, ne mentionnait que le titre de la performance et listait seulement quelques contraintes : jouer en extérieur, par tous les temps, avec des moyens techniques limités et une empreinte carbone réduite.
  • 17. Pour des raisons évidentes de transport et de logistique, ces espaces se situent en périphérie des villes en question.
  • 18. Au vu des limites de cet article, il est impossible de décrire et d’analyser les multiples modalités d’immersion que Paysages partagés déploie. Par exemple, la pièce musicale Unless, composée par Ari Benjamin Meyers, et celle de Begüm Erciyas et Daniel Kötter, constituée d’un moment de lecture solitaire et d’une expérience de réalité virtuelle, proposent deux autres modalités d’exploration du rapport à l’espace et de mise en relation des canaux auditifs et visuels.
  • 19. Soutenue par le POLAU à Blois, elle s’inscrit dans le prolongement de la démarche du Parlement de Loire, piloté par Camille de Toledo (2019-2021).
  • 20. Sur les rives de la Loire (juin 2023) et d’un lac à Divonne-les-Bains (septembre 2023).
  • 21. Les citations de la pièce sont issues de notes prises durant la représentation.
  • 22. Les premières paroles de la pièce invitent le public à choisir le meilleur point de vue sur la toile, tendue entre deux troncs, où est reproduit Das Eismeer de Caspar David Friedrich. La voix entame ensuite une description minutieuse de ce tableau, qui se conclut sur l’expression du désir d’entrer dans le paysage représenté. C’est alors qu’une personne en fauteuil, accompagnée d’un assistant, vient se poster devant la toile. Est alors retracée à grands traits sa biographie, avant que le public ne soit invité à prendre le thé avec elle, devant le paysage. C’est donc l’impossibilité de l’immersion dans le paysage qui est mise en scène.
  • 23. Programme distribué lors de la représentation au POLAU de Blois en 2023.
  • 24. Les différences d’échelles, qui tendent souvent à minorer l’anthropocentrisme du théâtre, sont au cœur de la pratique du théâtre-paysage.
  • 25. À la toute fin, le public entend le dernier mouvement d’Unless de Meyers.
  • 26. Pour n’en donner qu’un exemple, nous pouvions entendre, à Blois (juin 2023), la voix de Grégory Morrisseau, géographe et paysagiste : « Ces zones étaient fertiles, à des fins d’économie locale, voire extralocale. Aujourd’hui, il faut absolument chercher à retrouver ce bon sens historique et à relocaliser ce pour quoi ces territoires se sont façonnés. Le paysage doit être nourricier de par sa fertilité, pas uniquement d’un point de vue productif mais aussi de par sa fertilité sociale ».
  • 27. C’était pourtant le cas à Divonne-les-Bains, la performance figurant dans le programme de La Bâtie-Festival de Genève.
  • 28. « [L]e sensible réalise quelque chose comme une synthèse entre les différentes manières dont une chose peut être proposée aux sens. Le sensible ce n’est pas du donné que les sens nous apporteraient, c’est aussi quelque chose qui, d’une certaine façon, se dérobe, qu’il faut ressaisir, phraser ou moduler autrement pour le porter à une autre puissance » (Rancière, 2019 : 79-80).

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